I. Réveil

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PARTIE III

I

La chaleur d'un rayon de soleil vint griffer son visage.

Rivière grommela, enfouit sa tête sous l'oreiller. Il était tôt. Il était épuisé.

Et il avait terriblement mal dormi.

Lentement, il se risqua à ouvrir les yeux, s'éblouit une seconde, se redressa au milieu des couvertures.

Il faisait bon.

Le papier peint rayé qui courait sur les murs semblait éclaboussé comme de coulures de plomb, et le sommeil n'arrangeait rien, mais on avait déjà ouvert les volets. Le soleil était haut dans le ciel.

Une forte odeur de pollution le prit à la gorge,...puis celle de tabac, puis celle de grisaille haussmannienne, et enfin une effluve de pain frais et de café froid. La fenêtre était entrouverte, mais il restait une douce chaleur dans les rougeurs d'octobre. Un peu de lumière perçait par les nuages lourds.

Un aéronef lui sembla passer en ombre chinoise, comme une éclipse, seulement une demi-seconde.

Il cligna des yeux.

Oh, bon sang, quelle nuit affreuse. Il avait passé son sommeil à se tourner et se retourner...cherchant en vain le moyen de fermer l'œil à ses rêves. Et au fond quel genre de fou ferait de tels songes ? Il réfléchissait depuis peu à retourner en famille, reprendre le bateau, passer quelques mois en Bretagne entre les murs parentaux. La mer lui manquait. Le souffle des volets et les longues plages de rochers et de flots sauvages. Peut-être qu'il pourrait respirer un peu...

Il se passa une main sur le visage. Il devrait tout noter, avant d'oublier. C'était le drame, au fond. Mais passer quelques vacances...enfin, il faudrait qu'il puisse économiser un peu avant de se lancer dans de tels projets. Et trouver un peu de travail. La saison était creuse.

« Monsieur Rivière ? »

Il se redressa, passa une veste, alla à la porte de sa chambre.

« Oui, madame Patoche ? » lança-t-il depuis le seuil avant même de voir son interlocutrice.

Dans la pièce à tout faire du minuscule pied-à-terre se tenait une femme d'un certain âge, que la causalité narrative avait faite replète, coiffée en chignon, l'air avenant et le visage fripé d'une grande bonté, — sans pour autant pouvoir remédier aux tatouages abominables qui lui couraient sur toute la longueur des bras et l'angle du cou. Madame Patoche voulait bien être une grand-mère avenante soixante-dix pour cent du temps, mais elle tenait à ses trente pour cent comme un chien à son os. Ce qui expliquait les bagues d'oreilles, les muscles retraités à faire pâlir un forgeron et un certain tatouage de tête de mort sur la fesse gauche dont elle ne cessait de se vanter.

Le contrat que Rivière avait passé avec elle lui avait épargné une vie instable de sans-abri. Arrivé à Mathusalem quelques années plus tôt, le jeune homme un brin démuni avait conclu un pacte peu académique avec la vieille femme, qui bâclait plus ou moins son veuvage à l'époque. Les mécaniciens étaient plutôt rares dans ces quartiers — il fut convenu qu'il subviendrait à tous les besoins de sa logeuse dans ce domaine, tandis qu'elle l'abritait pour peu de choses dans le petit pied-à-terre ridicule que, veuvage et solitude oblige, elle laissait de toute façon en jachère depuis des années. Il n'était pas le premier à profiter de cet état des choses ; Madame Patoche en accueillait souvent plusieurs à la fois, de passage ou durablement. Parfois elle les casait dans les vieilles chambres de son mari et de ses jumelles, qui avaient toutes deux quitté le nid des années plus tôt. Ou encore les retrouvait-on derrière le comptoir du bar qu'elle tenait en parallèle, à remplir pintes sur pinte en discutant gaiement. Rivière quant à lui n'avait jamais rechigné à la tâche ; cela faisait des années qu'il réparait tireuse à bière sur tireuse à bière. Elle l'avait pris en affection, du reste. C'était l'un des ses locataires les plus anciens. Et elle lui apportait parfois jusqu'à ses repas, parce qu'elle préparait toujours pour quatre. Entre eux s'étaient tissé une bonne entente presque filiale.

LA THÉORIE DU CHAOS - premier axe : 𝓁ℯ𝓈  𝒸𝒽𝓇ℴ𝓃ℴ𝓃𝒶𝓊𝓉ℯ𝓈Où les histoires vivent. Découvrez maintenant