LA THÉORIE DU CHAOS - premier axe : 𝓁ℯ𝓈 𝒸𝒽𝓇ℴ𝓃ℴ𝓃𝒶𝓊𝓉ℯ𝓈

V. Un vieil homme et ses ombres de forge.

Où on découvre qu'au fond on ne peut être rien d'autre que soi-même.

V

« Plus vite, vilebrequin » grinça Seamus, qui marchait en tête, sans jeter un regard en arrière. « Le vieux n'aime pas attendre. Et ne dis pas ça pour l'effet mélodramatique vaguement cliché. »

Rivière se cogna pour la énième fois dans un tuyau de cuivre ayant eu l'excellente idée de pendre du plafond en coude discret et décida qu'il en avait marre.

« Oh, mandrins et tourillons ! » pesta-t-il. « C'était nécessaire de mettre ça » un levier qui n'avait rien à faire dans le passage s'enfonça dans ses côtes et lui coupa la respiration au passage « précisément là ? »

Seamus se retourna et avisa le levier coupable d'un regard qui donna presque à Rivière de la compassion pour la barre de métal disgracieuse — même s'il la maudissait quand même de tout son être. À sa grande surprise, elle eut soudain un craquement sinistre et se replia brusquement, comme si le ressort avait soudain rendu l'âme.

« Bonne remarque » fit simplement le mage en reprenant son chemin comme si de rien n'était, laissant Rivière estomaqué au milieu du couloir métallique. « Problème éliminé. »

Rivière se reprit et pressa le pas pour rejoindre Seamus.

« C'est toi qui as fait ça ? » Demanda-t-il, le souffle court, en revenant à sa hauteur.

« Non, c'est le levier » ricana Seamus.

Rivière hésita un moment, puis demanda :

« Tu plaisantes ? »

Seamus soupira.

« Écoute, vilebrequin, tu es mécanicien, n'est-ce pas ? Donc personne ne s'étonne à ce que tu dises "mandrins et tourillons" à tout bout de champ. Ça paraît normal même si personne de globalement équilibré ne fait ça. Moi, je suis mage. Donc s'il te plaît, évite de faire des commentaires dès que des phénomènes magiques apparaissent. C'est normal, d'accord ? »

Rivière se racla la gorge, gêné.

« D'accord.

— Content de te l'entendre dire » sourit Seamus. Il se figea soudain et son visage se durcit. « Bon, vilebrequin, derrière cette porte, il y a le vieux. Il bouge rarement de cette pièce. Rapide topo de la situation, histoire que tu ne sois pas trop surpris. Primo : son plan consiste à s'approcher de l'Oural, de remonter une vingtaine d'années dans le temps grosso modo pour rechercher sa fille avant qu'elle ne s'écrase. Deuzio : comme tu t'en doutes, il a déjà à moitié lâché la rambarde, donc évite de le contrarier. Tertio : tout est parfaitement normal ici. Pigé ? »

Il posa la main sur la poignée de la porte avec un air de dégoût réticent.

Puis soudain, au moment où Rivière s'y attendait le moins, il se retourna et lâcha subitement :

« Ah ! Oui, j'allais oublier. Quarto : c'est mon grand-père. »