XX. Les hors-monde: 3

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XX

Ce furent les crépitements du feu qui firent danser les première étincelles devant ses yeux.

L'homme sentit lentement la vie revenir. Même le froid le prit, comme un serpent gelé, quelques secondes, avant de fuir en ondulant. Puis un douce chaleur remonta sous sa peau.

Il ouvrit un œil, gémit.

Une ombre floue se redressa dans un coin de la petit pièce.

« Hé bien, on revient de loin, n'est-ce pas ? »

Son bras le lançait. Il s'agita.

La silhouette s'approcha d'une démarche légèrement dandinante et lui posa une main rassurante sur le front.

« Calmez-vous. Ça ne prendra qu'une seconde. »

Malgré sa fièvre et ses membres qui déliraient, il savait que quelque chose clochait sérieusement. Et même cette seconde lui faisait mal au fond de la poitrine.

« Go — » bafouilla-t-il, avec ce qui lui restait de force dans la voix. Il sentait son bras gauche le brûler. La silhouette, d'un geste tranquille, essuya la rosée de sueur à son front, le fit taire par gestes paisibles. Il voulait s'endormir et pleurer. La fièvre pulsait. Mais il y avait...

« Ne bougez pas, » le tança la femme. « je remets votre...enfin, vous verrez. »

Il déglutit, sentit un feu irradier de tout les os de son bras gauche. Bon sang, son bras. Un rocher, probablement. Quelque part dans la tempête, on n'y voyait rien...

On lui passa une sangle autour de l'épaule, la fièvre lui arracha un gémissement. Il était en sécurité. Oui, c'était probable. La femme, derrière, ajustait quelque chose autour de son torse. On est généralement pas allongé sur une couchette confortable dans une petite pièce tranquille chauffée d'un bon feu quand on est prisonnier. Il s'immobilisa, assis dans ses draps de convalescence, rassembla fébrilement son souffle, se prit la figure entre les mains, fit taire les bourdonnements, essuya du même coup le plus gros de la sueur. La panique suivrait. Il gémit quelque chose.

Le monde reprit son ordre tranquille.

« Voilà. » La femme s'éloigna un peu de lui, observa son œuvre, l'œil critique. « C'était à mon mari, lui était soldat pendant les guerres de 42, vous savez. Le même bras. Vous lui ressemblez un peu. Enfin, beaucoup plus jeune, bien sûr. Mais à l'époque... »

Elle secoua la tête d'un air contrit et soupira.

Il s'agita, reprit ses esprits et toute sa peur.

« Le...oh, bon sang, maëlbran... » articula-t-il, avec un goût de sang dans la bouche. « Où est-elle ? Pitié, dites-moi qu'elle va bien... »

Une lueur d'alarme passa dans les yeux de la femme. Elle s'empressa vers le fond de la pièce, y récupéra quelque chose, puis, toujours du même pas affairé, revint vers la couchette, un petit paquet dans les bras.

Toute sa panique s'enfuit de la poitrine de l'homme. Le petit visage paisible émergeait d'une quantité quasi obscène de couvertures. La bouche était entrouverte, les boucles rousses froissées par la pluie et l'angoisse, mais elle dormait, consciencieusement, avec cette application dont seuls les très jeunes enfants sont capables.

« Elle était affamée mais je lui ai donné à manger » fit la femme d'un air anxieux. « Elle va bien, il me semble. Elle dort depuis plusieurs heures, le pauvre ange... »

Mais il n'écoutait plus. Ils y étaient parvenus, enfin. Ses yeux s'embuèrent. Il prit doucement l'enfant dans ses couvertures des bras de la femme, comme on ramasse un petit animal encore fragile. Le bout du chemin. Ça faisait des mois, mais ils y étaient.

Le silence fit lentement ses gammes avec un écho de profond respect.

L'enfant remua à peine, peut-être parce qu'elle rêvait. Elle s'y habituerait, songea l'homme, et des souvenirs douloureux lui firent l'effet d'un poignard. Oh, et puis non. Eux, c'était différent.

Il ne pouvait plus lâcher le petit visage tranquille des yeux. Pourvu qu'elle fasse de beaux rêves.

C'était stupide mais c'était tout ce qui comptait.

Il cala la petite tête dans le creux de son bras droit, si doucement qu'on aurait pu croire à un léger courant d'air. Il savait être délicat quand il le fallait.

En grimaçant, il ramena son bras gauche autour de la petite bête. La douleur lui arracha un léger gémissement.

Non, ça ne serait plus jamais comme avant.

L'armature de fer et de cuir au lieu de son bras gauche jeta un reflet fauve au gré des escarbilles.

LA THÉORIE DU CHAOS - premier axe : 𝓁ℯ𝓈  𝒸𝒽𝓇ℴ𝓃ℴ𝓃𝒶𝓊𝓉ℯ𝓈Où les histoires vivent. Découvrez maintenant