XXV. Dénouement

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XXV

« Oh, par Coinchend » souffla Seamus, soudain très pâle. « Je suis désolé si j'ai séché pas mal de vos fêtes religieuses. M'en veuillez pas. Là, tout de suite, si je survis, je promets de plus jamais en louper une seule. »

L'autre Seamus lui décocha un regard rageur.

« Tout ça, c'est ta faute » cracha-t-il. « Ta faute ! Ta faute si tu n'as pas fait attention... ! »

Rivière s'interposa. Le regard du Seamus noiraud glissa vers ses yeux, et une vague d'émotion sembla l'emplir, soudain, par un reflet troublé.

« Si j'ai fait tout ça, c'est pour te retrouver, tu sais » fit-il tristement.

Il se laissa tomber dans son fauteuil.

« Pour te ramener de ta perte.

— Je vais très bien, merci » fit Rivière. Il hésita une seconde. « Seamus, écoute. Si tu es bien la personne que je connais...

— Je ne sais plus qui je suis » ricana l'autre entre ses doigts. « Un monstre, peut-être ?

— Non. Non, je ne crois pas » le coupa fermement Rivière.

Un rire monta de la masse frémissante, voûtée dans le fauteuil.

« Seamus, écoute...

— Tous les jours. Tous les jours, tu viens me harceler.

— Seamus.

— J'ai échoué. Dans la tempête. On avait reçu ce message...la tempête.

— Seamus, s'il te plaît.

— Et la tempête...et la neige. Je t'ai perdu de vue...

— SEAMUS ! »

Pour la seconde fois, Rivière venait de hurler. Personne n'osa sursauter.

Le petit mécanicien tremblait, le visage rougi, et peut-être une larme perlait-elle au coin de ses yeux. S'il pleurait, ce n'était pas sa faute.

L'autre releva la tête, doucement.

« Tu es mort » lâcha-t-il d'une voix faible.

« ...Je veux juste te récupérer. »

Le regard de Rivière se voila de chagrin. Il ne savait pas vraiment comment réagir — s'enfuir, gagner du temps,...ou encore s'approcher, prendre dans ses bras cette grande douleur en coulée d'encre qui tremblait sans oser le voir. Au lieu de ça, il soupira tristement.

« Seamus, écoute. Si je suis mort...je te demande de me laisser en paix. » Il frémit, le regard rougi. « Je veux trouver le repos, tu comprends ? »

L'autre se figea, échappait à ses yeux. Il n'avait plus aucun sens. Plus aucune raison. Rien qu'une longue plaie qui cherchait en vain un passé détruit.

« Non » souffla-t-il entre ses doigts, presque dans un ricanement.

Rivière eut un mouvement de recul, imperceptible.

« Comment ça, "non" ? » lâcha-t-il en un filet de voix.

« Non, » répéta l'autre en se redressant. « Tu ne comprends pas ? Tu n'es plus mort. Je t'ai ramené...comme avant.

— Seamus » souffla Rivière dans un sanglot.

« Comme avant. » l'autre eut un petit rire, les yeux perdus dans le vague. « En sécurité. Je t'ai sauvé, et je te sauverai. Si j'ai fait tout ça...c'était pour toi. »

Rivière pâlit, mais il savait qu'il pouvait atteindre le corbeau blessé, parce qu'il n'avait rien d'autre en son pouvoir, parce qu'il n'était qu'un petit mécanicien qui n'avait rien demandé. Il comprenait. Il comprenait la folie lente qui s'était coulée dans son crâne. Et pourtant...

« Je suis fier de toi » sourit-il doucement, au milieu de ses larmes.

L'autre s'illumina, le visage enfin éclaboussé d'un pauvre rai de lumière, qui perçait sous l'aube de la lampe — et pourtant, les marques que la douleur avait laissé sur son front le creusaient d'autant plus. Il semblait tout droit tombé des cieux, comme une étoile filante.

« Vraiment ? » souffla-t-il.

« Oui » sourit Rivière, et son visage brillait dans les rayons laissés par les larmes. « De tout ce que tu as fait pour me ramener. Tu es une personne exceptionnelle, Seamus. »

L'autre sembla s'obscurcir, un peu, parce qu'en baissant les yeux il jeta sur lui l'ombre d'une persienne.

« Je n'ai rien inventé » avoua-t-il d'une voix douloureuse. « J'ai simplement reproduit ce que j'avais déjà vécu, dans le passé. Le portail dans la pendule...un message à envoyer...je l'avais vécu moi-même, en étant à votre place, des années plus tôt. Et pour être honnête, j'avais bien trop peur de détruire la trame temporelle en improvisant. » Il se passa une main coupable sur le visage. « Je savais que ces actes-là n'auraient pas grande conséquence...qu'ils marchaient, d'une façon ou d'une autre, parce que j'en avais déjà fait les frais.

— Attends une seconde » intervint l'autre Seamus, en émergeant soudain de son recoin troublé. « La pendule, je veux bien. Quant au chrononef, on l'a fait exploser sans trop faire exprès. Mais Jackalan et Samuel ? Comment est-ce que tu as su quand et envoyer leur message d'appel au secours ? On a jamais su les détails, et tu ne pouvais pas y aller au hasard... »

L'autre baissa les yeux.

Il y eut un silence.

« Tu te souviens de tes maux de crâne ? » lâcha-t-il alors d'une voix sourde, le visage illisible.

« Euh...oui ? »

L'air semblait se moquer d'eux, et pesait, lourdement. L'ombre vacilla comme une flamme de bougie.

« Un genre de résonance » continua l'autre dans un souffle. « Ton empreinte magique qui reconnaît celle de ton demi-frère, au refuge, et fait un effet de larsen devant une telle similitude. Les maux de têtes...

— Oui, mais...Jackalan. Dans la tente...ce n'était pas...

— Oh, non. » L'autre soupira tristement. « Et en effet, Val est ton demi-frère.

— Et...

— Un sortilège de flou » avoua-t-il d'une voix faible. « Quelque chose d'enfantin. Oh, une précaution minime quand on voyage dans le temps...de l'époque où je faisais encore attention. Et ce jeu de mot stupide avec nos noms... »

Le cœur de Seamus rata un battement.

« Non » lâcha-t-il sourdement.

L'autre releva la tête.

« Est-ce qu'on avait le choix ? » lâcha-t-il dans un regard de larmes rageuses. « Si nous n'y allions pas, personne n'aurait pu vous sauver. Vous comprenez ? Notre vie entière a été réglée au moment où vous avez manqué de mourir dans le futur.

« Bien sûr que Jackalan et Samuel n'étaient personne d'autre que vous-mêmes. »


LA THÉORIE DU CHAOS - premier axe : 𝓁ℯ𝓈  𝒸𝒽𝓇ℴ𝓃ℴ𝓃𝒶𝓊𝓉ℯ𝓈Où les histoires vivent. Découvrez maintenant