Supplices de Toundra - 1

CHAPITRE 37

MOSCOU, PLACE LA LOUBIANKA, SIÈGE DU FSB

LUNDI 17 SEPTEMBRE 2012, 10 H 27

Smirnova montait les escaliers, les yeux rivés sur son cellulaire. Elle bifurqua à gauche, braqua à droite et longea un couloir. En ce lundi matin, l'agent du FSB semblait d'une humeur massacrante. Visage fermé et yeux vitreux, elle avançait sans voir où elle allait. Elle bouscula plusieurs agents qui se trouvaient sur son chemin, sans s'excuser. À quoi bon ? Elle emprunta un escalier de service où planaient de fortes odeurs d'humidité et de renfermé. Après quelques minutes, elle arriva enfin devant la pièce qui l'intéressait : le bureau de Nikolaj Kotov. Ce dernier lui avait donné rendez-vous pour parler des avancées du projet intégrité. Elle frappa plusieurs coups faibles sur la porte.

— Oui ?

La voix bourrue et virile de son supérieur l'invita à entrer. Elle s'exécuta et s'approcha du large bureau. Ça puait la sueur et l'alcool bon marché dans la pièce. Aucune expression ne transcenda son visage lisse.

— Vous vouliez me voir, monsieur ?

— Installez-vous, agent Smirnova. Je souhaitais parler avec vous de l'avancée du projet intégrité ?

— Nous avons mis quatre années à monter le dossier. Nous n'avons plus aucune raison de nous en faire. Il sera condamné.

— Très bien. Très bien. Sur quoi travaillez-vous en ce moment dans ce cas ?

— Mon indic m'a donné le nom d'une personne, liée de près ou de loin je ne l'ai pas encore identifié à notre affaire.

— Quelle est cette personne ?

— Sevastiana Oulianova, monsieur.

Le visage de Kotov s'assombrit de manière imperceptible. Il parut se renfermer, ses traits se durcirent et sa face se décomposa d'un seul coup. Il tenta tant bien que mal de dissimuler sa surprise mais c'était peine perdue. La connaissait-il ? Smirnova contracta les mâchoires. Elle n'avait pas manqué le panel d'émotions passé sur le visage de son supérieur hiérarchique. Il cachait quelque chose, c'était évident. Seulement, elle voulait savoir à quel point ça entraverait ses petites affaires.

— Qu'est-ce que vous avez sur... cette femme, agent Smirnova ?

La voix de Kotov grinçait d'une angoisse, bien dissimulée par son agacement. Pour palier ses émotions négatives, il attrapa un cigare qu'il logea entre ses lèvres fines. Rapidement, une épaisse fumée âpre enveloppa la pièce. Smirnova toussota légèrement. Elle n'avait plus touché à ce genre de substance depuis des années et ça ne lui manquait pas le moins du monde. Pour attiser ce malaise grandissant, elle prit quelques secondes à répondre. Ses yeux de glace jaugèrent son supérieur. Elle ne manqua pas les infimes tremblements secouant ses bajoues.

— Pour l'instant, nous n'avons pas grand-chose si ce n'est son nom. Mais j'ai fourni l'identité à Vassiliev qui va la vérifier consciencieusement.

— Très bien. Vous n'avez rien d'autre ?

— Non, monsieur.

— Dans ce cas, tenez-moi au courant de l'avancée de vos recherches, agent Smirnova. Vous pouvez disposer. Au travail !

Smirnova effectua une faible révérence, ramena sa main droite à sa tempe et tourna les talons. Cet échange était étrange, parsemé d'une once de culpabilité mal dissimulée. Si son supérieur lui cachait quelque chose, elle était déterminée à en connaître la teneur.

☦

Midi trente. Elle déambula dans le dédale de couloirs menant à l'antre de Vassiliev. Son expert informatique avait près de quatre pièces pour entreposer son matériel et les archives. Il passait ses journées dans la chambre noire, enfermé comme une pestiférée à pianoter sur ses claviers. Ce dernier était prévenu de la visite de la Russe. Elle espérait obtenir de nouvelles informations concernant Sevastiana Oulianova. Quelque chose dans ce nom la perturbait ; pourtant elle n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Smirnova entra dans le local. Une puissante odeur de fauve et de renfermé doublé par celle de la bouffe rance planait dans l'air. Vassiliev tenait un sandwich grec bien gras entre ses doigts boudinés. Elle se racla la gorge, passablement agacée et surtout impatiente. En guise de réponse, il remonta ses lunettes de repos sur son nez de l'index.