CHAPITRE 118

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RUSSIE, DISTRICT IULTINSKY, TCHOUKOTKA, BÂTIMENT DÉSAFFECTÉ

68°5' DE LONGITUDE ET 179°2' DE LATITUDE

MERCREDI 26 DÉCEMBRE 2012, 10 H 15

Le petit point rouge la fixait toujours. Des bourrasques pénétraient dans le bâtiment, glaciales et vives. Attachée à la chaise, la juge attendait. Elle était paralysée par le froid, complètement gelée. Elle ne sentait ni le bout de ses doigts ni ses pieds. Puis les gouttes d'eau le long de la tuyauterie la rendaient complètement cinglée. Compartimenter, faire abstraction. C'est ce qu'elle avait pris mais elle ne pouvait pas le mettre en œuvre.

Soudain, la silhouette galbée et élancée du Maniaque la rejoignit. Toujours masqué et gainé de noir, il faisait peur. D'un pas extrêmement lent, il fit le tour de la chaise à plusieurs reprises. Klein ne savait jamais quand est-ce qu'il allait frapper, quel genre de coups elle allait recevoir cette fois-là. Depuis quelques heures, son bourreau redoublait d'imagination en ce qui concerne les tortures. La lame du kinjal passa sous la chevelure de la magistrate, glissa sur sa nuque et sur sa gorge. Un long frisson se propagea sous sa peau. Le Maniaque attrapa ses cheveux, les enroula autour de sa main et tira un coup sec sa tête en arrière. Klein lui lança un regard haineux. L'autre lui enfonça un morceau de tissu au plus profond du gosier. Klein s'étouffa à moitié, eu des haut-le-cœur et parvint à se calmer. Le Maniaque continua de tourner autour d'elle, sans un mot. Les regards étaient parfois plus blessants, oppressants que les mots en eux-mêmes. Enfin, il amorça d'une voix rauque et grave :

— Beaucoup demandent pourquoi, demandent comment j'ai pu mettre au point un plan aussi diabolique et toujours passer entre les mails du filet. Tu sais, tu ne seras pas la première. Pour résumer, tout a commencé quand j'avais quinze ans, j'ai rencontré Victor. On a vécu une idylle, une véritable histoire d'amour. J'ai toujours cru que c'était normal, que notre amour avait le droit d'être. Il m'a touché, fait découvrir le plaisir. Je pense que j'étais paumée. Ouais, je le pense. Et puis, il y a eu Melnikov. Ce chasseur de tête complètement idiot. J'ai eu la chance d'intégrer le FSB et de montrer rapidement les échelons. J'ai pu me faire une place et je suis parvenue au meilleur de moi-même. C'est là que j'ai rencontré Magda Osman... tiens regarde...

Le Maniaque retourna l'écran vers le visage de la juge. Celle-ci voulut détourner les yeux, mais son bourreau braqua le canon de son arme sur sa tempe et lui ordonna de regarder. Elle fut obligée de croiser le regard de cette pauvre femme, Magda Osman. Les cris, les supplications. Tout se noyait dans une haine, une atrocité, une barbarie sans nom. Puis, les tortures pleuvaient sur ce corps dénudé. Le sang coulait à flot, la vie s'échappait des plaies béantes. Cette vidéo, elle était sûre de l'avoir déjà vu quelque part... Ça y est, elle se souvenait ! Viktoria ! Sa gorge se crispa. Un filet de bile lui brûla l'œsophage, un haut-le-cœur la tira en avant. Elle dégueula des substances liquides et étranges. Le Maniaque lui tira la tête en arrière et la gifla. Il reprit d'une voix caverneuse, gutturale :

— Magda Osman, c'était la sœur de la femme de Victor. Cette pute, je me suis bien amusée avec elle aussi. Puis, y'a eu Boris Kavakrov, Igor Mazarov et tous les témoins de la krasnaya moneta. T'as fourré ton nez un peu trop loin ma belle. Mais ceci n'est pas le cœur de notre discussion. Tu sais un jour, j'ai découvert la krasnaya moneta de Victor. Il y avait des photos, partout, des documents, des cartes du monde, des plans. Puis j'ai su... il m'a raconté. Victor est né en 1955 au goulag, au camp de Boutouguytchag dans la Kolyma. Il y a vécu cinq ans, jusqu'à son démantèlement. Ça choque de vivre dans ce genre d'endroit. Puis, il s'est promis de venger son père et sa mère, morts dans le camp de Diphtérie. C'est comme ça que tout a commencé, le club, les danseuses et danseurs, la krasnaya moneta. Tout faisait partie du plan. J'ai été sidérée quand j'ai compris que tout était réel. Il a cherché, grâce aux archives que je lui ai fournies, il a trouvé le nom des descendants de ceux qui ont dirigé le goulag d'URSS. Eh oui, tout était prévu. En entrant au FSB, j'avais accès à tous les documents et personne ne me soupçonnerait. Et puis, j'ai pris contact avec Oleg Pichtchalnikov. En France, il a eu accès à l'appartement de Victor que nous avons acheté ensemble. C'est là qu'il a mis sur pied le système informatique, les comptes de bitcoins, la messagerie privée Telegram. Je crois que nous avons eu tort de placer tant de pièces en France. Bon, maintenant tout est réglé et puis avant qu'on te retrouve il va se passer de l'eau sous les ponts... Pour continuer, Victor sous le pseudonyme de Drago mettait des annonces de mannequinat sur internet et récupérait les candidatures. Certains mordaient à l'hameçon, d'autres non. Pour les autres, il avait créé une histoire de toute pièce et se servait de Milàn. Ce bellâtre. C'est comme ça qu'il a enlevé et engagé toutes ces filles dans son club. Bien-sûr, il fallait falsifier les contrats de travail. Je m'en suis occupée. Finalement, quand il n'en pouvait plus ou que ces gosses avaient le cul trop déchiré, il me les refourguait et je m'en occupais. Mais ça, tu le sais déjà. Le Maniaque de la Kolyma est un hommage, une création pour venger ces milliers de morts du Goulag. Et puis, tu es arrivée. Tu as fourré ton nez dans nos affaires. Tu as mis à mal mon plan. Tu as découvert les symboles, les vidéos. Tu étais à deux doigts de tout découvrir et tu devenais dangereuse. J'ai donc pris la décision de t'enlever... Je me suis bien servie de ce bêta d'Oleg. Il a mordu à l'hameçon. Maintenant, son corps flotte dans l'eau parmi les fragments d'iceberg.

Le Maniaque parlait aussi bien à la juge qu'à la caméra. Il savait que de nombreuses personnes le regardaient en direct et surtout, il était certain que les autorités françaises étaient devant leurs écrans. Il ne se trompait pas. Tout le monde avait assisté aux confessions sordides et surtout aux tortures infligées à la juge d'instruction. Il passa son kinjal sur la gorge de Klein, prit son pied à la voir flageoler. Klein n'avait rien manqué de ses confessions, elle en était sur le cul. Elle ne s'attendait pas à ça. En fait, tout était prévu. Tout était... et elle n'était pas au bout de ses surprises... Là, le Maniaque approcha de la caméra et l'éteignit. Il pivota vers Klein et lui lança un regard glaçant :

— Tu voulais savoir la vérité, mais à quel prix ? C'est ça le problème avec vous les juges, vous voulez toujours tout savoir, tout connaître peu importe combien il en coûte. Tu risques d'en payer de ta vie. Soit dit en passant, je sais tout de toi Monica. Tu veux la vérité pure et dure : je me suis posée la question et j'ai su au premier regard. Regarde.

Le Maniaque brandit une feuille de papier. Tout était écrit en russe sauf les chiffres. Monica n'eut pas de mal à comprendre ce que ça voulait dire. Une correspondance ADN mais entre qui et qui. Elle n'allait pas tarder à le savoir.

— Je vois que ça t'intrigue mais je pense que tu as compris que c'était une correspondance ADN. J'ai découvert quelque chose d'étonnant, plus de cinquante pourcents de correspondance entre ta salive et les poils de barbe de Victor. Tu sais ce que ça veut dire, n'est-ce pas ?

Monica sembla tomber de haut. La terre s'ouvrit sous ses pieds. Ce n'était pas possible, non impossible... quoi que... sa vue se brouilla de larmes et de papillons noirs. Son visage se décomposa et pâlit. Elle bougea, tenta de se détacher et poussa des cris déchirants étouffés par le bâillon au fond de sa gorge. Des larmes ruisselèrent le long de ses joues. Son père... elle n'avait pas su... elle l'avait auditionné... sa tête tourna, une nausée lui crispa l'estomac et elle se retrouve projetée en avant. Le Maniaque se délectait de l'effet que cette révélation produisait.

— Père et fille étaient réunis dans la même affaire. Ton besoin de notoriété et de reconnaissance t'est monté à la tête ma pauvre. Et regarde, tu vas finir dans la mer, au milieu des icebergs. Je me délecte déjà de ce que je vais te faire subir.

Pour appuyer ses propos, le Maniaque passa la lame de son couteau sur le corps de la magistrate. Celle-ci contracta les mâchoires, ses yeux la suppliaient de lui retirer le bout de tissu. Mais, le bourreau ne semblait pas de cet avis. Il contourna le corps déjà négligé et se plaça dans son dos.

— Tu pensais peut-être être au bout de tes surprises. Tu te trompes... j'ai eu des doutes mais maintenant, je n'en ai plus... les correspondances ADN ont permis de prouver que tu étais sa fille et que, par la même occasion, tu étais ma petite sœur.

Cette fois, s'en fut trop pour Klein. Elle bondit en avant. La sueur ruisselait à grosses gouttes sur sa peau. Ce lien ne pouvait être que mensonge... impossible. Elle ne voulait pas y croire. L'acidité lui remonta dans la gorge, lui brûla l'œsophage et lui laissa un arrière-goût amer. Elle ignorait ce qui était le pire entre ça et le fait qu'il s'était tapé leur père. L'inceste avait un petit goût de non achevé. D'un geste de la main vif, le Maniaque retira le bâillon et la toisa de toute sa hauteur. Klein hurla, hors d'elle et la rage bouillonnant dans ses veines :

— Espèce de gros cinglé ! Ils te retrouveront ! Ils vont te tuer !

— Ouais... mais j'aurais déjà eu le temps de te refaire une beauté.

Comme pour bien enfoncer le clou, le Maniaque amorça un effeuillage. D'abord ses gants, son haut, son pantalon et son masque. Monica eut un mouvement de recul. Une femme. Derrière ce masque se cachait une femme. Monica vit trouble. Le monde tournait autour d'elle. Elle déglutit, calma sa respiration et les soubresauts de son cœur incessants. Ses cheveux, son corps, sa peau étaient poisseux de sueur et de sang. La lame du couteau s'enfonça dans son abdomen. Elle toussa. La douleur fut fulgurante, aigüe et profonde. Son bourreau rejeta la tête en arrière, sa longue chevelure corbeau flottait derrière elle. Sa main amena le couteau une nouvelle fois dans la chair et vint susurrer au creux de l'oreille de la magistrate :

— Elena Smirnova. Si par miracle tu t'en sors, je pense que tu n'oublieras jamais ce nom... ah... ce sang... j'ai tellement d'idées pour satisfaire mes abonnés...

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant