CHAPITRE 48

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POKROV, RUE FRANKA SHTOL'VERKA, COLONIE CORRECTIVE

55°5' DE LATITUDE ET 39°1' DE LONGITUDE

JEUDI 18 OCTOBRE 2012, 14 H 56

Assis en tailleur sur sa paillasse, Obolensky priait. Les deux mains jointes contre sa poitrine et les yeux fermés. Dans la colonie corrective, le temps était éternel. Il ignorait ça faisait combien de temps qu'il n'avait pas vu le soleil véritable. À côté de lui, des restes de soupe fermentée traînaient. Des rats grouillaient un peu partout dans la cellule. Obolensky avait fini par s'y accommoder et n'y prêtait même plus attention. La croix sur ses genoux tremblait légèrement. Tout à coup, les verrous se déclenchèrent, la porte grinça et on ordonna :

— Prisonnier, en position !

En guise de réponse, il rangea sa croix, se leva. Il se positionna face au mur, les mains sur la tête. On lui menotta les poignets. Les bracelets en fer lui cisaillaient la peau. Il poussa un grognement et pour toute réponse, il reçut une claque. Ici, il était mal vu de se plaindre. Le gardien pénitentiaire lui expliqua :

— Antov veut te poser quelques questions.

— À propos de quoi ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Allez baisse la tête !

Pour accompagner ses propos, le soldat lui donna un coup de poing dans la nuque. Obolensky en eut le souffle coupé momentanément. Une douleur lancinante se propagea dans ses cervicales. Il déglutit. Sa tête tournait. Une angoisse lui noua l'estomac. En général, c'était mauvais signe quand on voulait vous poser des questions ici. L'escorte fit entrer le prisonnier dans une petite salle de l'administration où deux hommes aux crânes chauves et aux traits tirés l'attendaient. Obolensky fut assis de force sur une chaise métallique, ses poignets attachés derrière le dossier. Il ne pouvait plus bouger. Le gars de droite se leva, c'était le fameux Antov.

— Bon alors, Obolensky, nous avons quelques questions à te poser. On doit éclaircir quelques petits trucs avec toi. J'espère pour toi que tu vas être coopératif.

— Ouais, bah allez-y posez-moi vos questions qu'on en finisse.

Antov s'approcha de lui. Il se posta devant la chaise à une cinquantaine de centimètres d'Obolensky, les jambes écartées. Il s'humecta les lèvres, plaça une cigarette entre elles et l'alluma. Il prit bien son temps pour souffler la fumée au visage du prisonnier dans une provocation et reprit :

— Ça te dit quelque chose Magda Osman ?

— Non ! C'est quoi ces questions à la con !

Antov fit un signe discret à son collègue derrière lui. Une première claque heurta la joue d'Obolensky suivie d'une deuxième dans la seconde.

— Te fous pas de moi. Qu'est-ce que tu sais sur Magda Osman ?

Obolensky pâlit. Son cerveau tournait à cent à l'heure. Qui connaissait cette femme ? Il déglutit, tenta de garder sa contenance et répondit sans ciller :

— Je ne sais pas de quoi vous me parlez.

— Menteur.

Le gars lui flanqua une nouvelle gifle suivie d'un crochet du droit sec et virulent. Obolensky garda la tête tournée sur le côté. Il cracha un filet de sang sur le sol. Antov l'attrapa par le col de son uniforme et plaqua son visage au-devant du sien :

Kaziol ! Sombre con ! Qu'est-ce que tu sais sur elle ? Parle !

— Je te l'ai dit... Je sais rien. Salopard.

Antov le repoussa brutalement en arrière. La chaise tomba et les deux hommes se déchaînèrent sur lui. Obolensky n'avait pas moyen de se protéger des coups de pieds dans le ventre, dans le visage, dans la poitrine. Il encaissa les chocs. La douleur lui paralysa le corps. Il arrivait à peine à respirer. Un filet de sang remonta dans sa bouche. Sa vue se brouilla, de petits papillons noirs volèrent. Il secoua faiblement la tête. L'élancement était tel qu'il ne put bouger plus. Antov le redressa :

— Sevastiana Oulianova, ça te dit quelque chose ça ?

Cette fois, Obolensky déglutit. Son œil enflé fermé échappa une grosse larme mélange de pus et de morve. Pathétique. Sa pommette avait doublé de volume, sa lèvre fendue pissait le sang, de petites égratignures maculaient sa peau. Sevastiana Oulianova. Qu'avait-elle de spécial cette petite pute ? Il tenta quelques mouvements mais sans succès. Il essaya de parler, ouvrit les mâchoires mais aucun son n'en sortit si ce n'est des grognements et des borborygmes désagréables. Il ferma les yeux, laissa couler les larmes. Une nouvelle claque s'abattit sur sa joue. Sa tête se mit à tourner, des sueurs froides coulèrent sous ses aisselles et ses côtes et de longs frissons le saisirent à la nuque. Il allait s'évanouir.

— Alors ?! Parle ! Qu'est-ce que tu sais sur elle ?!

Nouveau silence. Bruit de bouche et salivation excessive brisèrent le silence. Antov lui attrapa la gorge d'une pogne ferme et serra fort. Obolensky ouvrit son unique œil. Son visage se tuméfia, se crispa, vira au bleu puis au violet. Antov le relâcha et se confronta de nouveau à lui, visage à quelques centimètres.

— Allez sale rat ! Dis-nous ce que tu sais sur elle et tu sais ce que tu risques si ça ne passe pas.

Obolensky déglutit. Il savait exactement ce qu'il risquait à ne pas parler. Des viols et des tortures incessantes. Antov se retourna vers son collègue. Ils parlèrent un instant et il fourragea furieusement dans un tiroir. Il en retira un téléphone portable :

— Tu te souviens de ça ?

Obolensky ne réagit pas. Au moindre mouvement, la douleur l'élançait à le paralyser. Antov se pencha vers lui, lui renversa la tête en arrière et appuya le téléphone sur son visage.

— Je vais te rafraîchir la mémoire, Kaziol !

Il activa une vidéo et la plaqua sur le nez d'Obolensky. Le concerné se vit apparaître sur la vidéo amateur, deux malabars le violentaient, le violaient et le torturaient sans vergogne. C'était la technique du kompromat. Cette méthode avait le privilège de plutôt bien marcher pour obtenir des aveux.

— Tu es sûr que tu ne veux toujours pas parler ? Non, parce qu'au pire, on balance ça sur Youtube... je pense que ta femme, ta fille, les autres prisonniers vont l'avoir à la mauvaise. Tu ne crois pas ? Mais si tu parles, on la garde encore un peu voire peut-être on la supprimera.

Obolensky écarquilla son unique œil. Le chantage était tel qu'il ne pouvait refuser. Il ne pourrait supporter l'humiliation que la publication d'une telle vidéo provoquerait. Son cœur palpitait dans sa poitrine. De larges hématomes se dessinèrent sur sa peau et s'étendirent au fil des minutes. Antov pencha l'oreille vers Obolensky et murmura :

— Vas-y je t'écoute.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant