CHAPITRE 109

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MAGADAN, 13, PROSPEKT LENINA, HÔTEL TSENTRAL'NAYA

SAMEDI 22 DÉCEMBRE 2012, 11 H 40

Magadan était une ville plutôt classique, assez pauvre peuplée de quatre-vingt-dix mille habitants environ. Au centre-ville, Tsentral'naya était probablement l'hôtel le plus luxueux noté à hauteur de trois étoiles. Le magnifique bâtiment blanc et bleu constituait une touche de modernité à la ville. Au rez-de-chaussée, une immense salle de réception accueillit une dizaine de clients. Certains jouaient au poker, sirotant du whisky hors-de-prix et ricanant, d'autres s'essayaient au billard. Smirnova tenait la queue de sa main droite et vérifia la trajectoire de la boule blanche. Normalement, elle devrait mettre les boules colorées dans les trous. D'un geste habile et pro, elle plaça le bout de la queue sur ses doigts et tira. La boule blanche heurta deux boules jaunes. Bingo ! Ses lèvres voraces s'étirèrent dans un rictus victorieux. Deux jeunes hommes alcoolisés lui flanquèrent un coup dans l'épaule en riant fort. Elle joua de nouveau, cambrée vers l'avant. Son sourire ne fit que s'élargir. Le revêtement vert de la table de billard était usé par le temps et l'usure. Elle effleura le cadrant du bout des doigts et regarda les hommes jouer.

— Prends-en d'la graine, la gonzesse !

Un éclair de colère passa dans le regard de Smirnova. Elle ne releva pas la réflexion machiste. Elle but une longue gorgée de vodka et s'essuya les lèvres de la main. La mise en place des boules jouaient en sa faveur. Elle en rentra encore deux. L'autre gars partit au bar, vexé. Tout à coup, son téléphone sonna. Elle s'écarta du groupe et sortit :

— Smirnova.

— Que faites-vous, agent Smirnova, bon Dieu ?

— Medvedev. Ne vous inquiétez pas, l'opération se déroule comme je le prévoyais.

— Le plan a changé ! Vous devez passer à l'action dans les jours qui viennent !

— Aussi rapidement ?

— C'est un ordre, agent Smirnova.

— Très bien, monsieur le président. Je vais voir ce que je peux faire.

— Mettez Orlov sur le coup et dépêchez-vous de me régler ce problème !

— Compris, monsieur.

Le chef d'État ne répondit même pas et se contenta de raccrocher. Smirnova prit une longue inspiration. Ce genre d'opération prenait du temps. Vouloir aller plus vite que la musique induirait forcément une erreur. Ça ne se déroulerait pas comme prévu. Elle le savait, elle trempait là-dedans depuis des années. Elle fuma la cigarette entre ses lèvres et rentra. Elle descendit d'une traite son verre de vodka et récupéra un téléphone prépayé. Elle avait appris par cœur le numéro d'Orlov, pour le contacter en cas de besoin. C'était lui qui s'en occuperait.

— Orlov !

— Salut, Smirnova. Je croyais que tu ne voulais plus qu'on se parle ?

— L'Ours a avancé l'échéance de l'opération. On a quelques jours pour la boucler.

— Tu rigoles ? On peut pas ! Pas ici, c'était pas prévu comme ça !

— Je sais, mais on n'a pas le choix. Tu me suis où je vais devoir me taper tout le boulot ?

— Je te suis. Qu'est-ce que je dois faire ?

— Klein est toujours là ?

— Oui.

— Bien, tu me la livres dans trois jours. Je vais lui régler son compte une bonne fois pour toute.

— Tu crois que c'est bien raisonnable ?

— Je me contrefous de savoir si c'est raisonnable, moral ou non. Ça vient d'en haut. On n'a pas le choix.

— L'Ours ne cautionnera pas ce qu'il va se passer ! l'avertit Orlov.

— L'Ours cautionnera que je lui colle une peur bleue, comme ça elle ne fouinera plus dans nos petites affaires. L'Ours l'a dit lui-même, elle tourne trop autour du gouvernement. Elle va finir par nous compromettre. Tu imagines un peu les conséquences ?

— Ouais, mais fais attention. Si elle te reconnaît, c'est fini pour toi.

— Tu me prends pour une débutante ?

— Non...

— N'oublie pas, trois jours.

Smirnova raccrocha. Soudain, la sonnerie de son téléphone de permanence la rappela à l'ordre. Un nouvel article de la Novaïa Gazeta venait d'apparaître sur son fil d'actualité : Igor Mazarov continuait son investigation sur la mort de différents hauts placés russes, témoins de l'affaire Obolensky. Elle poussa un soupir de lassitude. Le journaliste devenait trop encombrant pour le gouvernement, gênant et parasitant au possible. Il devait l'éliminer avant qu'il ne cause davantage de dégâts. Quelques minutes durant, elle réfléchit. Une idée illumina son esprit : se faire passer pour un témoin et l'attirer dans un hôtel où le gouvernement avait ses marques depuis longtemps. Elle récupéra l'adresse email du journaliste et écrivit un courriel maladroit et immature à son attention. Elle lui demandait s'il pouvait se rencontrer dans trois jours à cette adresse précise. Pour attiser sa curiosité, elle monnayait des informations sur la mort de ces hauts dignitaires. Cela suffirait amplement à faire tomber Mazarov dans le pétrin. L'homme cherchant à tout prix la gloire et la vérité, il ne se méfiait plus de ses sources. Armé d'un sourire machiavélique, elle envoya le message et composa un numéro sur son écran. La voix, gutturale et caverneuse de Romanov, retentit au fond du combiné :

— Smirnova.

— Romanov. J'ai un service à te demander. Celui-ci sera payé le triple à mon retour, s'il est bien exécuté.

— Oula, je m'attends au pire.

— Tu vois l'hôtel de la rue Yuznnobutovskaya ?

— Oui ?

— Le journaliste Mazarov y sera dans trois jours pour rencontrer une source...

— Quel est le problème ?

— Tu me le liquides discrètement et proprement.

— Je ne pose pas de question... marché conclu !

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant