CHAPITRE 43

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MOSCOU, 6, RUE BERSENEVSKAYA NABEREZHNAYA, BAR DICTATURA ESTETICA

LUNDI 1 OCTOBRE 2012, 12 H 58

Situé au bord de la rivière Moskova, le dictatura estetica arborait une apparence plutôt cosy. Traditionnellement russe, quelque peu sombre. Impossible d'y trouver le moindre Français. Au fond de la salle, un petit groupe d'adolescents russes enchaînaient les shots de vodka dans la glace en riant fort et en braillant de leurs voix graves. Un couple de vieux mangeait tranquillement en lisant le journal. Deux jeunes femmes caquetaient de leurs conquêtes de la nuit – deux soldats de l'ex-armée rouge. Et à droite, contre le mur, un homme vêtu d'un costume bleu roi et d'un borsalino de la même couleur sirotait lentement son café dans une tasse en porcelaine bleue et blanche. Ses yeux étaient rivés sur des coupures de presse d'un certain Igor Mazarov. Le journaliste accablait le gouvernement russe. Il ne cessait de crier au scandale et au favoritisme concernant l'affaire Obolensky. L'homme tourna la page, d'autres photos, d'autres preuves. Ce publiciste constituerait bientôt un danger pour le pays. Le supprimer était la seule solution convenable pour protéger l'intégrité de la Russie. Il but une nouvelle gorgée de café. Il saisit la petite boîte métallique à sa droite et l'ouvrit. Il attrapa un cigarillo qu'il logea entre ses lèvres. Le dictatura estetica était l'un des derniers bars a accepté la fumée en son intérieur. Plusieurs coups d'œil inquiets en direction de la porte. Toujours personne. Elle avait promis de venir. Lui, il commençait à perdre espoir. Les minutes passaient et il en était à son troisième café. Le serveur arriva vers lui.

— J'attends encore cinq minutes avant de partir.

— Très bien, monsieur. N'hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit.

L'homme acquiesça d'un simple mouvement de la tête et là, ce fut le soulagement. Une femme apparut dans l'embrasure. Il n'avait vu que sa silhouette mais il savait que c'était elle. Avec son aura et son charisme à toute épreuve, elle faisait tourner les têtes. Son corps était sculpté comme celui d'un athlète, les muscles finement dessinés sous cet uniforme noir. Elle avança d'une démarche féline. Elle se posta devant la table de l'homme à la cigarette et demanda d'une voix à peine audible :

— L'aigle ?

— Lui-même. Je vous attendais, vous êtes en retard.

— Je déteste travailler avec un binôme.

— Pourtant, il semblerait que votre patron vous l'impose alors vous allez devoir faire.

— En effet, mais ne vous attendez pas à ce que je sois toujours à l'heure.

Elle tira la chaise et s'installa en face de lui. Le serveur se pointa une nouvelle fois pour prendre les commandes. Une vodka pour elle, une bière pour lui et une assiette de charcuterie, de fromage et de pain. La femme détailla l'homme en face d'elle. Il était plutôt grand, les cheveux noirs coiffés d'une raie sur le côté avec du gel, des petits yeux noirs, un visage taillé à la serpe et une longue balafre partait de la pointe de son sourcil gauche jusqu'au milieu de sa joue. Son visage ne reflétait aucune expression. Il se pencha sur le côté et attrapa quelque chose sous sa chaise. Un énorme dossier.

— Comme nous allons être amené à travailler ensemble régulièrement sur l'affaire Obolensky, appelez-moi Stanislav Orlov.

— Très bien Stan, je suis Elena Smirnova.

— Le chat m'a fait un topo.

— Qu'est-ce que vous pouvez me dire ?

— La Française est bien arrivée à l'ambassade de France. Elle a déjà commencé à prendre connaissance du dossier que les autorités russes leur ont fourni. D'après nos premières impressions, elle semble bien jeune, bien naïve et bien influençable.

— Parfait, ce ne sera donc pas difficile de lui faire croire ce que nous voulons.

— Non. Tenez, voici le dossier que nous avons monté sur elle.

La femme aux cheveux corbeau l'ouvrit et lut grossièrement les premières pages en hochant mécaniquement la tête. Elle releva ses yeux de glace inexpressifs vers Orlov et indiqua :

— Vous avez fait du bon travail, Stan. Vous continuez de la filer ?

— Oui et je vous ferai un compte-rendu de tous ses déplacements.

— Parfait. Nous sommes d'accord alors.

— Nous sommes d'accord. Si vous le souhaitez, vous pouvez garder ce dossier si vous voulez l'étudier.

— Et vous, qu'allez-vous faire ?

— Pour gagner sa confiance, il n'y a rien de mieux que se rapprocher d'elle.

— En la séduisant ?

— En devenant son ami.

— Très bon choix, Stan. Je dois y aller, je vous recontacte sous peu.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant