CHAPITRE 71

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POKROV, RUE FRANKA SHTOL'VERKA, COLONIE CORRECTIVE

55°5' DE LATITUDE ET 39°1' DE LONGITUDE

MERCREDI 21 NOVEMBRE 2012, 10 H 19

Au fond de sa cellule miteuse, Obolensky récitait ses prières orthodoxes. Les mains jointes devant sa poitrine, la tête abaissée sur ses pouces, le souffle calme. Sa barbe fournie avait attaqué la moitié de son visage. Ses joues étaient encore plus creusées de coutume, son corps amaigri, meurtri et affaibli par les conditions de survie. Il était à genoux sur le sol, la croix gisait devant lui. Il répétait sans cesse qu'il avait fait tout ça pour venger les victimes du Goulag, les très nombreuses victimes. C'était un justicier des temps modernes. Grâce à ses idées, le Maniaque – le véritable bourreau – avait donné vie à ses desseins. Obolensky avait vu la dernière vidéo publiée sur le darkweb. Elle reflétait un savant mélange entre les horreurs du passé et les atrocités barbares du présent. Il se balançait d'avant en arrière, les yeux fermés et le cœur battant. Des voix le tirèrent de ses pensées :

— Prisonnier, en position !

Il se leva, mains sur la tête et face au mur poisseux. Les fers lui cisaillèrent les poignets, entrèrent dans sa chair. Accompagné de l'escorte, il déambula à travers les très nombreux couloirs et se retrouva dans la salle des visites où Monica Klein l'attendait. Obolensky posa des yeux vitreux sur le visage de la juge. Bien qu'elle tentât de le cacher, une colère irrépressible bouillonnait en elle. Tout dans sa posture le trahissait : ses poings serrés, ses traits tirés, son regard noir. Il s'installa en face d'elle. Monica attaqua sans attendre. Cette fois-là, elle ne lui fit pas l'honneur des formalités habituelles :

— Obolensky, vous allez devoir m'expliquer tout cela. Les filles que vous avez recrutées dans votre club sont toutes mineures. De surcroît, en plus de les donner en pâture à des hauts dignitaires, vous filmez chaque ébat, chaque scène que vous postez sur le darknet. N'essayez surtout pas de nier, j'ai découvert l'existence de votre « atelier » (elle mima grossièrement les guillemets de ses doigts.) et des soirées privées à caractère sadomaso que vous organisez là-bas. Je pense que vous me devez quelques explications !

Obolensky papillonna des paupières. Elle avait taillé dans le vif, prononcé ses mots de manière si cinglante qu'il en était resté collé au dossier. Cette fois, il ne trouverait pas la force de lui répondre avec le sarcasme. Son visage se liquéfia, il devint livide.

— Si j'vous disais que j'ai un bras droit qui s'occupe de toute cette logistique, vous n'me croiriez pas, non ?

— Comme de cet argent que vos amis vous ont généreusement prêté, comme de ce club pour boire, voir des représentations de strip-tease et manger ou du fait que vous alliez un peu sur internet mais sans plus, comme la fois où vous m'avez certifié que tout était en ordre, dans les normes.

— C'est vrai... je... commença-t-il, balbutiant et s'étouffant dans sa salive.

Monica frappa du poing sur la table. Une colère s'empara de son être, son regard s'enténébra, les muscles de son cou étaient tendus comme des arcs. Son visage était pivoine, le sang pulsait dans ses tempes.

— Maintenant, vous allez arrêter de vous foutre de ma gueule deux minutes et me dire la vérité.

— J'vous l'ai dit la vérité... j'ai un bras droit qui s'occupe de tout...

— Et vous allez essayer de me faire gober que vous n'étiez pas au courant de ce qui se tramait ? S'il vous plaît, vous le pouvez faire à votre femme mais pas à moi.

Klein plissa les paupières. Elle sembla le sonder un instant, tenta de lire en lui et reprit d'une voix emprunte d'une colère telle que ça dressa les poils sur les bras d'Obolensky :

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant