CHAPITRE 15

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PARIS, BOULEVARD DU PALAIS DE L'ÎLE DE LA CITÉ, TGI

LUNDI 3 SEPTEMBRE 2012, 8 H 59

— Madame la juge, enfin vous voilà...

Juliette l'accosta, affolée. Paralysée sur ses hauts talons, elle rejoignit Monica en faisant claquer les aiguilles. Ce bruit criard irrita la magistrate, mais elle le dissimula derrière un fard d'airain. La greffière maintenait tant bien que mal quelques dossiers aux couvertures jaunies dans ses bras. Monica n'eut pas le temps de s'asseoir que Juliette répliqua avec une certaine gravité dans la voix :

— Le procureur de la République veut vous voir.

— Quoi ? Maintenant ?

— Oui. Ça m'avait l'air important.

— Merci.

Son visage pâlit soudainement, à l'image d'un cadavre. Monica peina à dissimuler sa surprise. Son souffle haché trahit son émotion. Cette réplique lui produisit un coup de poing dans le ventre. Elle s'humecta les lèvres, nerveusement. Elle passa une main sur son nez et reprit, indécelable :

— Il ne vous a rien dit ?

— Seulement que c'était de la plus grande importante, madame.

— Parfait... Hum... Pouvez-vous... commença Monica.

— Sans problème, madame, je m'occupe de la paperasse.

Monica esquissa un bien pâle sourire en guise de réponse. Elle n'avait pas l'habitude de travailler avec une greffière à sa botte. Et ce serait mentir, d'affirmer que cet accueil ne l'avait pas angoissée. Pourquoi le procureur voulait-il la voir ? Ça faisait seulement quelques semaines qu'elle ouvrait au pôle crime contre l'humanité, ça ne pouvait pas s'arrêter ainsi...

☦︎

— Je suis ravi de vous revoir, madame Klein.

— Tout le plaisir est pour moi, monsieur le procureur.

Monica sentit une boule se former dans sa gorge. La masse lui obstrua la trachée et l'empêcha de respirer correctement. Mélange d'éructations et de borborygmes — fruit de ce stress ubiquitaire — brisa le silence. Elle piqua un fard, honteuse. Mathieu Lagarde joignit ses grosses mains épaisses ornées de bagues en argent. Il arborait fièrement son âge — quinquagénaire affirmé — aux cheveux décoiffés grisonnants. Ses yeux bleu clair pétillaient de malice. Son teint pâle confirmait son indéniable charme slovaque. Il scruta la juge. Faillit se moquer d'elle. Elle affichait un dos droit, une intégrité à toute épreuve. Celle-là même qui pèse sur chacun des magistrats au parquet. Dans un imaginaire — pas si éloigné de la réalité — celle-ci transpirerait à grosses gouttes d'eau salée.

— Klein, respirez.

Cette réplique avait pour objet de détendre l'atmosphère. La brune glissa une main dans ses cheveux, tremblant. Elle ne pouvait se résoudre à regarder Lagarde. Ses yeux balayaient circulairement la salle, passant du tapis en peau d'ours, aux plantes chlorophylliennes et aux tableaux de maître. Le procureur œuvrait ici depuis quelques années. Respecté pour son professionnalisme à toute épreuve, il était aussi redouté de ses subordonnés.

— Pour quelles raisons souhaitiez-vous me voir ?

— Une tasse de thé vous tente ?

Il venait d'esquiver la question de sa nonchalance caractéristique. C'était clair, ils avaient tout leur temps. Un coup d'œil entendu suffit à consentir l'offre. Il se leva, se retint à la commode et attrapa deux mugs et une théière d'antan. Il prépara le divin breuvage dont il avait le secret. Le grassouillet déposa une tasse fumante devant Monica.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant