CHAPITRE 85

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POKROV, RUE FRANKA SHTOL'VERKA, COLONIE CORRECTIVE

55°5' DE LATITUDE ET 39°1' DE LONGITUDE

SAMEDI 1 DÉCEMBRE 2012, 03 H 35

La nuit était tombée. Toute la colonie dormait à poings fermés. Dans la salle de contrôle, le gardien était affalé sur son bureau. Face à lui, quatre écrans de caméras de surveillance montraient quatre endroits : la salle des visites vide, la cour extérieure, les couloirs de l'aile est et les couloirs de l'aile Ouest. Soudain, l'écran supérieur droit faiblit, se brouilla et s'éteignit. Écran noir. Plus aucune connexion ne se fera durant les vingt prochaines minutes. Le gardien pénitentiaire, trop occupé à dormir, n'y verrait que du feu. Le champ était libre.

Quatre agents tous vêtus de noirs, cagoulés et gantés, passèrent dans le couloir. Ils longèrent les murs, comme des ombres ondulantes. L'un d'eux fit un geste de la main pour indiquer aux autres la marche à suivre. Ils trottinèrent sans bruit dans l'allée de la colonie corrective. Les lampes au plafond ne s'éteignaient jamais. Elles continuaient d'onduler à leur passage. Les ordres étaient clairs, arrivés du plus haut niveau de la hiérarchie. Le Tsar ne donnait que peu d'ordre direct. Quand il le faisait, c'était seulement en cas d'urgence, de péril imminent pour la sécurité nationale. La situation était claire. Le peloton progressa à travers les couloirs déserts de la prison. Les portes métalliques se ressemblaient toutes et il n'était pas rare de s'y perdre. Le quartier le plus sécurisé exhibait une modernité froide, grise et immaculée. Tout était propre. Rien ne traînait. Ici, les pires terroristes et les opposants politiques les plus récalcitrants étaient enfermés et attendaient que leur heure vienne. Ils s'arrêtèrent en face d'une porte. Le plus petit crocheta le mécanisme de la serrure et la porte s'ouvrit. Une lumière crue, acide, les aveugla. Obolensky était assis sur sa paillasse, les bras en croix. Il sursauta à l'entrée des trois hommes masqués et hurla :

— Z'êtes qui vous ?

Aucune réponse. Au regard que ses bourreaux lui bourraient à travers leur cagoule, Obolensky sentit le danger. Un mauvais pressentiment l'assaillit. Il se leva précipitamment. Les quatre gaillards l'encerclèrent et l'acculèrent au mur du fond. Obolensky avait le souffle court, les battements anarchiques et l'estomac serré. Il voulut dire quelque chose mais déjà le plus grand des inconnus le saisit par la gorge. En une fraction de seconde ses pieds ne touchèrent plus le sol. Il battit l'air de ses jambes et frappa de toutes ses forces sur la grosse pogne qui enserrait sa trachée. L'air commençait à lui manquer, l'oxygène n'arrivait plus à son cerveau. Ses traits se tordirent, son visage se tuméfia et sa peau bleuit. La main de fer gantée ne relâchait pas sa prise, pire il serrait davantage. Il le plaqua au mur. Victime et bourreau virevoltèrent sous la pression. Derrière lui, Obolensky distingua l'autre gars déchirer ses draps jaunes et y opérer un nœud coulant. Le ballet bifurqua, Obolensky heurta le mur. La douleur dans son dos le paralysa un instant. Il sentit un jet d'urine s'écouler dans son uniforme. Chaud et humide. Une auréole plus foncée apparut sur son entrejambe. Son visage passa du blanc au rouge pivoine. Il hurla des mots incompréhensibles, bafoué par l'écume qui s'écoulait de ses lèvres. L'agent lui enserra encore la gorge. Obolensky vit sa vie défiler devant ses yeux. Les moments les plus importants. Une peur viscérale s'insinua dans ses tripes. Ses bras se paralysèrent, ses jambes et son corps. Il ne pouvait plus respirer. Il allait mourir. Ce n'était plus qu'une question de temps. Ses yeux se révulsèrent dans leurs orbites, le sang injectait ses sclères et s'écoulait en de fines larmes sur ses joues. L'angoisse se dépeignit sur son visage, s'ancra dans ses prunelles mais rien n'y fit. On ne lâcha pas. Une écume mousseuse mélangée de plasma se répandit autour de ses lèvres et il toussa. La vie le lâchait à petit pas. Ses poumons, son cœur, son cerveau se contractèrent dans un dernier effort surhumain. Il s'excusait pour tout... il était désolé... il avait encore tellement de choses à dire, à faire... tout à coup... trou noir... Ses yeux se refermèrent et tout son corps se détendit. La strangulation pratiquée par l'homme en noir lui avait ôté la vie. Ça avait pris entre dix et quinze minutes au bourreau pour en venir à bout de sa victime. Mais le proxénète était mort et avait emporté avec lui tous ses secrets et l'atroce vérité. Pour parfaire leur travail, les quatre hommes l'attrapèrent et entourèrent sa gorge du nœud coulant avant de le pendre au plafond de sa cellule. Le corps inerte, pendu par la gorge était authentique. La scène de suicide était parfaitement crédible.

Ils sortirent de la pièce, refermèrent la porte sur le corps d'Obolensky mort, pendu. Ils jetèrent un dernier regard par la petite fenêtre de la porte. On y voyait le détenu suspendu au plafond, la tête légèrement penchée en avant avec le visage pâle et une large tâche d'urine sur l'entre-jambe. Personne ne soupçonnerait la supercherie. Les quatre soldats des services de renseignements russes – Volkov, Vizirov, Tkachenko – arpentèrent le même chemin dans le sens inverse, raides et droits comme des baguettes. En moins de cinq minutes, ils quittèrent la colonie corrective incognito. En moins d'une demi-heure, ils avaient ôté la vie d'un homme.

Dans la salle de contrôle, la vidéo de surveillance se connecta. L'image apparut. Tout était normal. Comme si rien ne s'était passé. Le couloir était complètement vide à une exception près, Obolensky avait trouvé la mort durant cette nuit hivernale glaciale.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant