CHAPITRE 11

73 11 6
                                    

POKROV, RUE FRANKA SHTOL'VERKA, COLONIE CORRECTIVE

55°5' DE LATITUDE ET 39°1' DE LONGITUDE

SAMEDI 11 AOÛT 2012, 17 H 50

Un vent glacial soufflait sur les quais de la gare. À l'heure tardive, juste quatre hommes patientaient debout, austères et impitoyables. Leurs uniformes noirs marquaient leur appartenance à la police politique. Un homme en costume gris attendait avec eux. Il avait la tête baissée et deux armes le tenaient tranquilles. Victor Obolensky. Un bruit sourd résonna au loin suivis de craquements métalliques. Une espèce de vieux train de l'URSS fit son entrée dans la gare du centre de Moscou. Il ne payait pas de mine. Les agents poussèrent Obolensky à l'intérieur, jetèrent un coup d'œil circulaire – prêts à abattre un quelconque témoin gênant. Le vieux moyen de transport ferroviaire baptisé Elektrichkamettrait environ deux heures pour rejoindre la petite bourgade de Petouchki. Héritier du système concentrationnaire de Staline, Pokrov était connu comme l'une des pires prisons de Russie. Les quatre voyageurs trouvèrent un box dans lequel ils s'installèrent. Le plus gros des agents ramena sa chapka sur ses oreilles et se frotta les mains. Sa voix bourrue résonna dans l'habitacle. Obolensky ne pouvait que s'imaginer le nombre de personnes passées par ce train aller tout droit à une mort certaine. Le sol qu'il foulait était le même revêtement que des milliers avaient foulé avant lui. Ses paupières boursoufflées se rabattirent sur ses yeux. L'homme en face de lui le fixait d'un regard dur. Son fusil d'assaut était pointé vers ses jambes. Le train démarra dans un bruit criard, avec une série de grincements métalliques désagréables à l'oreille. Les agents du FSB y semblaient habitués. Obolensky tenta d'entrevoir le paysage par les interstices. Le voyage serait long. Silencieux, ponctué d'une quinte de toux sèche ou d'une blague salace. Pas de quoi rire.

Il était près de vingt heures quand le train s'immobilisa dans la petite gare. Une voiture datant du siècle dernier les attendait là. Le chauffeur local reviendrait en arrière et emprunterait une route parsemée de nids de poule avant d'atteindre Pokrov. L'homme tenta plusieurs blagues, mais les agents du FSB le firent taire par quelques menaces verbales. L'homme ne voulant pas finir en pâté pour les loups, il la ferma. Sur cette petite route chaotique enneigée en hiver, il ne fallait pas avoir le mal des transports. La voiture fila à travers la campagne. Tout était sec, tiges de graminées et arbres dénués de leurs feuilles. Les plaines s'étendaient sur des kilomètres à l'horizon. Ils arrivèrent enfin au lieu de rendez-vous. À première vue, rien d'impressionnant. Un poste de contrôle initial matérialisé par une simple barrière sans couleur. Des palissades grises surmontées de barbelés s'élevaient vers le ciel. Un peu plus loin, le dôme doré d'une chapelle surplombait tout. Là, nouvelle manœuvre, l'un des agents flanqua un coup de crosse derrière les genoux d'Obolensky. Ce dernier s'effondra en grognant.

— Baisse la tête, mains sur la tête et ferme ta gueule !

Il s'exécuta. Les chaînes tapaient périodiquement sur ses joues. De quoi devenir complètement barje. L'échine courbée, on le fit avancer en direction du poste de contrôle initial. Deux gardiens en sortirent et laissèrent passer le peloton. Ils pénétrèrent ensuite dans l'enceinte de la sinistre colonie pénitentiaire de Pokrov. Tout était sobre. Blocs en béton, sol en béton, murs en pierre, miradors. Un environnement insignifiant qui cachait pourtant un engrenage de véritables tortures psychologiques. Une porte s'ouvrit dans un craquement caractéristique et le peloton pénétra dans une vaste pièce. Ils empruntèrent deux couloirs, bifurquèrent à droite et à gauche, longèrent plusieurs salles d'entretien. Ils grimpèrent plusieurs séries d'escaliers avant de gagner ce qui était les cellules. Là, Obolensky fut arrêté par une main sur l'épaule. L'un des gardiens joua avec un trousseau de clés, l'objet carillonna contre les parois en métal et la porte s'ouvrit. L'agent poussa Obolensky d'un coup de crosse dans le dos.

— Acclimate-toi au plus vite, c'est ta nouvelle maison, Obolensky !

Il avait prononcé sa phrase avec une pointe de mépris dans la voix. Obolensky demeura de marbre jusqu'au moment où la lourde porte blindée se referma sur lui. Il se redressa et jeta un regard alentour. La cellule devait faire 9m2. Le grand luxe. Elle combinait un sommier aux lattes métalliques, un lavabo à l'hygiène plus que douteuse surmonté d'un miroir, un seau et une chaise. Il avait juste la place pour se tenir debout. Obolensky haussa les sourcils. Il s'installa sur le lit inconfortable et tira la couverture de garagiste sur lui. Une lumière rouge jaillit au-dessus de sa tête suivie d'une alarme stridente. Il plaqua ses mains sur ses oreilles. Le temps ici serait très long. C'était une évidence... Le système carcéral russe était bâti depuis la nuit des temps sur la violence et ces sévices ne faisaient que commencer pour lui.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant