CHAPITRE 112

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MOSCOU, RUE YA LUKOVSKAYA, ATELIER

37°2' DE LANGITUDE ET 55°4' DE LATITUDE

SAMEDI 22 DÉCEMBRE 2012, 18 H 31

La nuit enténébrait les lieux depuis plusieurs heures déjà. Une couche de neige, vingt centimètres, recouvrait le sol. Tout était calme, silencieux et apaisé. Parfois, des hurlements retentissaient au loin dans la forêt, des chouettes ou des renards des neiges. Les immenses cèdres du nord centenaires veillaient sur l'atelier de leur stature imposante. Depuis la mort d'Obolensky et de Milàn, le réseau avait sombré. Du grand n'importe quoi. Les petits trafiquants s'étaient battus à sang et à mort pour savoir qui dirigerait le marché. Finalement, ils n'étaient pas parvenus à se départager. Deux colosses dirigeaient le réseau. Ils avaient pris les rênes du trafic avec quelques modifications à la clé. Ils n'hésitaient pas à rouer de coups les putes qui s'opposaient à eux, à les étrangler et à les tuer. Ils avaient même monté un business autour des meurtres de ces petites salopes. Puis, la paranoïa les avait rattrapés. Étaient-ils seulement en sécurité ? Ils l'ignoraient. Alors, ils ne dormaient jamais. Comme cette nuit. Et ce qu'ils ignoraient encore, c'est que cette nuit, tout allait basculer.

Dans les chambres, les filles dormaient. Des jambes tantôt ciselées et lisses, tantôt velues et musclées dépassaient des draps. Des hommes, des femmes roupillaient les uns contre les autres. L'état de la pièce trahissait ce qui s'y était passé : baise brutale, BDSM, viol. Sur une table, quelques seringues et de la poudre traînaient çà et là. Quelques dizaines de billets étaient éparpillés sur le sol, froissés mais entiers. Un verre était renversé, des auréoles d'alcool marquaient la moquette et sur la commode une carafe de vodka à moitié vidée reposait en paix. Là était le signe d'une orgie, d'une partie de débauche extraordinaire. Tout était calme.

Dehors, un groupe d'hommes masqués à l'effigie de la police encerclèrent l'atelier. Le chef, un gaillard de deux mètres et de cent-dix kilos au moins, montra du doigt l'arrière du bâtiment. Tous lourdement armés, ils s'apprêtaient à passer à l'offensive. Durant ces derniers jours, le procureur et les juges avaient travaillé d'arrache-pied. En ce dimanche matin, à l'aube, ils avaient ordonné l'arrestation de tous ces ripoux. Une. Deux. Trois. Ils brouillèrent le réseau, interceptèrent les communications. Ils envoyèrent un coup de pied dans les portes et entrèrent comme des furies dans l'open-space ou à l'arrière. En quelques minutes, ils firent la descente de leur vie. Des dizaines de femmes amaigries, anémiées et droguées sorties des griffes de leurs macs maudits, une quinzaine d'hommes exfiltrés de l'atelier de toute urgence. Une équipe les attendait et les parquait dans des fourgons. Et puis des cris, des coups de feu, des détonations, la fumée d'une grenade, des refus d'obtempérer. Les flics avaient tiré dans le tas. Ils avaient reçu carte blanche. On ne faisait pas de quartier. Puis le silence retomba. Des portes craquèrent. Des souffles rauques, des appels à l'ordre. Armes au poing et cœurs battant, ils entrèrent. Les pas résonnèrent et la stupéfaction. Une dizaine d'hommes, les rebelles, étendus dans une mare de sang nu ou quasiment. Ils tenaient encore dans leurs mains raidies leurs armes à feu, prêt à riposter avec tout le courage du monde. Tous les corps étaient dans des positions désarticulées. Les tripes hors du bide, des trous à la place du visage, du sang et des morceaux de cerveaux. Une boucherie sans nom. Parmi eux, le corps frêle et désarticulée d'une Yougoslave. Ses yeux d'un bleu si pâle étaient tournés vers son bourreau. Du sang maculait par goutte son menton et sa gorge n'était plus qu'un amas de chair sanguinolent, de tendons et cartilages effilochés. Des visions que les flics russes, malgré leurs idéologies, malgré leurs histoires n'étaient pas près d'oublier.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant