CHAPITRE 114

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GORODETSKY DISTRICT, OBLAST DE NIJNI NOVGOROD

43°2' DE LONGITUDE ET 56°4' DE LATITUDE

DIMANCHE 23 DÉCEMBRE 2012, 01 H 45

La datcha était le repaire du père d'Elena depuis des années. Elle l'avait réaménagée en véritable chambre d'investigation. Une cuisine rudimentaire, une salle de bain basique et une chambre à coucher. Elle s'était ensuite organisé un bureau au sous-sol – digne des meilleurs films policiers. Une immense table en bois massif surmontée d'une carte détaillée, punaisée. Différents dossiers épais aux couleurs diverses et variées. Les murs étaient recouverts de photos. Différents styles, différentes époques. Certaines en noir et blanc, d'autres en couleurs. Le Maniaque avait récupéré des photos de différents endroits, de différents bords. La route R504 rebaptisée "Route des os", des extractions d'or, le fleuve de la Kolyma, un cimetière d'enfants, le lac noir ou le monument de la Serpentika. Le pire, c'était peut-être ces centaines de photos de prisonniers. Ces hommes et ces femmes qui luttaient pour leur vie dans le froid, la faim et la violence. Il devait les venger. Tous. Il s'était tourné vers l'ONG Memorial pour remonter le fil. On l'avait aidé, fourni en photos, en documents. Le Maniaque avait eu accès aux archives les plus secrètes. Grâce à cette ONG, il avait obtenu la quasi-totalité des identités des directeurs du Goulag. Une armoire massive était disposée sur le mur de droite, elle contenait l'uniforme du père, ses armes et tous les symboles ; l'URSS, le Goulag, la religion orthodoxe. Au fond de la salle, une porte étroite donnait sur un local informatique dernier cri. L'hygrométrie et la température y étaient réglées précisément. Des écrans étaient entreposés sur des tous articulées, des claviers traînaient un peu partout, des câbles et des fils intranet s'entremêlaient. Différents modèles de caméras indécryptables reposaient sur une étagère. Des trépieds étaient accrochés au mur. Le bureau informatique avait été aménagé dans les règles de l'art. On y trouvait tout le matos pour balancer des vidéos sur le darkweb. Le sous-sol était aménagé en plusieurs recoins dont cette grotte aux différentes excavations, aux cellules et à l'espace de tortures. Il avait pu créer le piège, mettre en œuvre divers plans machiavéliques pour venger ces hommes et ces femmes du peuple torturés durant des années.

À la suite de cette fameuse conversation, Elena avait échafaudé un plan infaillible avec l'aide de son géniteur. Elle devait infiltrer les services de sécurité, être au plus près du gouvernement russe pour avoir les renseignements qu'elle recherchait. Elle passerait à l'action vers vingt ans : se retrouverait à la rue, sous l'emprise d'un homme alcoolique et violent. Elle se débrouillerait pour attirer l'attention des chasseurs de tête de l'agence de sécurité. Tout se passerait comme sur des roulettes. Son père l'avait aidé, lui avait appris la manipulation et le mensonge. Surtout, elle devait ne faire confiance à personne. Âgée d'une vingtaine d'années, un chasseur de tête sans scrupule l'avait recrutée pour le compte du FSB. Alekseï Melnikov avait consenti à la sortir de cette vie remplie de tristesse et de violence. Elle était parvenue à entrer là où elle voulait. Elle avait rencontré les meilleurs informaticiens de Russie. Elle avait été promue. Puis elle avait dérapé. Une nuit glaciale, dans le vent et la neige, elle avait exécuté cinq jeunes recrues dans d'atroces circonstances. Heureusement, les loups de Sibérie s'étaient occupés à faire disparaître les corps. Personne n'avait jamais su ce qui s'était passé cette nuit-là. Grâce à ses points, elle avait obtenu une formation en informatique dispensé par Vassiliev en personne. Sans se méfier de la menace, il lui avait appris tous les rouages informatiques et technologiques du FSB. Grâce à cela, elle avait pu mettre sur pied un site que personne ne pourrait pirater "Le Maniaque de la Kolyma". Vassiliev lui avait même donné le contact d'un homme en France : Stanislav Orlov. C'était la belle aubaine pour brouiller les pistes et retarder l'échéance. Ce vaste plan d'obscuration avait vu le jour grâce à l'appartement de Bordeaux. Stanislav Orlov y avait installé plusieurs routeurs et différents systèmes internet, ainsi qu'un compte nickel sur lequel Elena déposait toutes ses recettes. Tout était parfaitement sécurisé et personne ne pourrait remonter jusqu'à eux à moins d'être meilleur qu'elle en informatique. Puis le plan s'était parachevé, son père avait ouvert un club en 2006 et il engageait des filles et des garçons qu'elle-même lui envoyait. Elle avait retrouvé la trace de tous les enfants qu'elle cherchait. Puis, nombre d'entre eux avaient été torturés, violés, tués en direct sur le Darkweb par le Maniaque en personne. Son œuvre prendrait fin sur une note spéciale : la torture de Monica Klein. Orlov lui avait livré la juge en bonne et due forme. La Vendetta continuait son chemin macabre...

Ligotée à une chaise, au fond de l'excavation seulement éclairée par une ampoule pendue par des fils nus, la silhouette de Klein pendait étrangement. Ses longues boucles brunes constituaient un rideau impénétrable devant son visage. Elle était vêtue d'un simple débardeur et d'une culotte.  À côté de la chaise, un pied à perfusion maintenait une poche de liquide translucide reliée à son bras. Un paralysant mêlé à toutes sortes de calmants.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant