CHAPITRE 125

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PARIS, RUE DES SERRES, HÔPITAL UNIVERSITAIRE DE LA SALPÊTRIÈRE

VENDREDI 26 JANVIER 2013, 17 H 21

Une horde de journalistes se pressaient aux portes du meilleur hôpital parisien, car la juge d'instruction Klein avait prévu de faire une conférence de presse sur l'affaire Obolensky. Du pas courant pour un magistrat du siège. Depuis quelques jours, les publicistes en faisaient leurs choux gras et cherchaient à obtenir le plus d'informations auprès de la DGSE, de la DGSI et des magistrats en charge du dossier. Secret de l'instruction oblige, ils n'avaient quasiment rien obtenu. Le communiqué de Monica Klein était leur dernier ressort pour obtenir la moindre petite information. Tous espéraient qu'elle répondrait à leurs questions. Pourtant, aucune ne se faisait d'illusion. Elle était tenue au secret d'instruction, pire encore, dans ce cas-là au secret de la défense nationale. Ce n'était pas gagné. Mais rien encore n'était perdu selon eux.

Dans la chambre no240, Klein terminait de boutonner son chemisier carmin. À aucun moment, elle n'avait pu regarder son corps dans le miroir. Cette peau boursouflée de cicatrices qui ne lui appartenait désormais plus. Elle remonta ses cheveux bruns en un chignon strict, sur sa nuque. D'un geste habile, elle maquilla ses yeux légèrement. C'était quasiment invisible. Elle se cambra pour remonter la fermeture éclair de sa jupe crayon, une douleur aigüe la saisit au bas du dos et lui tira une grimace. Elle passa le plat de ses mains sur le tissu, lissant les plis imaginaires. Pour parachever son apparence, elle chaussa une paire d'escarpins Prada, de douze centimètres. Un long frisson lui traversa l'échine, elle chancela en équilibre et sa vue se brouilla. Elle passa une main sur son visage, prenant soin d'éviter les zones maquillées. Une nausée lui tirailla l'estomac. Devait-elle tout arrêter là ? Non, elle ne pouvait pas. Tout le monde devait l'attendre de pieds fermes face au porche de l'hôpital. Elle papillonna des paupières, prit une longue inspiration et bloqua en trois coups. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, faisant pulser le sang dans ses tempes. Fébrile, elle se laissa choir sur le rebord du lit, courba le dos et enfouit son visage entre ses mains. Peut-être dix secondes ou dix minutes passèrent... Soudain, elle sentit la douceur d'une paume glisser dans son dos. Elle se redressa, le visage baigné de larmes. L'eau salée et la morve avaient ravagé son maquillage. Éric se tenait en face d'elle, habillé d'un costume trois pièces élégant. À la hâte, il attrapa un mouchoir et s'assit au côté de Klein :

— Eh, tout va bien, Monica ?

— Je ne sais pas... Je ne sais plus où j'en suis... Je ne sais plus qui je suis...

— Viens-là...

Éric passa un bras autour des épaules de la juge d'instruction et la serra contre lui. L'odeur musquée de son collègue et son ancien amant la rassura, l'apaisa. Monica resserra sa prise sur la taille de son confrère. Elle emplit ses poumons de son parfum et laissa couler ses larmes. Éric était resté avec elle du début à la fin. Elle lui avait dit qu'elle était enceinte... probablement de lui... et le Maniaque, plus qu'il lui avait pris son bébé, lui avait retiré toute possibilité d'enfanter un jour... Éric était resté à ses côtés et n'avait pas faibli. Il avait dormi sur le fauteuil, dans la même chambre, l'avait rassuré lors de ses terreurs nocturnes. Il avait été admirable, un véritable amour. Au bout d'une dizaine de minutes, le juge passa une main dans ses cheveux et murmura :

— Tu dois y aller, ils sont tous là. Ils t'attendent. Ils veulent savoir ce que tu vas leur dire...

— Je ne sais même pas ce que je dois leur dire... balbutia Klein.

— Si tu le sais. Marie-Anne Duchamp, de Calbiac, de Villebadin sont venus pour te briefer sur ce que tu pouvais leur dire... (il fit une pause et se racla la gorge.) Personnellement, je pense que tu devrais axer ce communiqué sur la paranoïa que tu as développé là-bas et le bébé que tu as perdu quand tu as été enlevée.

Pour toute réponse, Klein renifla. Elle hocha la tête et se releva. Elle approcha du miroir et remit un peu d'ordre dans ses cheveux et dans son maquillage. Elle chaussa ses talons de douze et sortit de la chambre. Au bras d'Éric, elle se hissa sur le porche, à l'extérieur. L'air frais battit sa peau et s'engouffra dans son chemisier. Jamais elle n'avait été si heureuse de sentir l'air sur son corps. Ça voulait dire qu'elle était en vie et aujourd'hui elle en était reconnaissante, c'était sa plus grande chance. Des dizaines de journalistes, proche d'une centaine, se bousculèrent à son passage. Elle intima le silence d'un signe de la main. Tout le monde se tut. Les yeux brillants d'étoiles – ou plutôt de larmes – elle commença son discours :

— Bonjour à toutes et à tous. Merci de me faire l'honneur de votre présence ici. J'ai entendu dire que beaucoup d'entre eux attendaient des réponses concernant l'affaire Obolensky. Comme vous le savez tous, je suis tenue au secret de l'instruction et je ne peux rien vous révéler d'exclusif. En revanche, je peux vous parler de ce que j'ai ressenti là-bas (elle tourna la tête, masquant ses larmes.) en Russie, de la paranoïa qui m'a envahi d'abord en tant que jeune juge d'instruction du pôle crimes contre l'humanité. Parce que oui, j'ai été bien trop jeune, trop naïve et trop influençable quand je me suis rendue là-bas. J'ai commis des erreurs dont je ne révélerai pas la teneur. Je me suis battue contre le sexisme, la misogynie au sein de ce milieu d'hommes, de prédateurs. Ça n'échappera à personne, des personnes haut placées dont je ne citerai pas le nom ne m'ont pas soutenu, ont douté de ma capacité à instruire cette affaire, ce scandale moral. Aujourd'hui, je pense sincèrement que c'était à juste titre. Mais cette affaire m'a fait grandir, m'a permis de m'ouvrir au monde et m'a fait voir la justice sous un nouvel angle. J'ai aimé ce que j'ai vu. Maintenant, je vous parlerai du traumatisme que j'ai vécu là-bas, en tant que femme...

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant