CHAPITRE 70

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MOSCOU, 45, RUE BOL'SHAYA YAKIMANKA, AMBASSADE DE FRANCE

MARDI 20 NOVEMBRE 2012, 10 H 00

Depuis le matin, Lombard n'avait pu contenir son stress grandissant. Aujourd'hui, il avait rendez-vous avec différentes personnes influentes : Marie-Anne Duchamp, Laurent de Calbiac, Marc de Villebadin et le brigadier Bernard était aussi convié à la réunion par simple politesse. En France, l'enquête avait débuté à Bordeaux et l'unité du jeune brigadier avait été saisi de l'affaire. Lombard termina son sixième café de la journée. Son corps n'était plus qu'une boule d'énergie et d'adrénaline, les palpitations dans sa poitrine sonnaient l'alarme. Il alluma son ordinateur et vérifia l'heure. L'échéance était presque atteinte. Il s'humecta les lèvres, se servit encore un café. Cette fois, il le coupa avec du lait. Pour son estomac, c'était pire que tout puisque l'acidité libérée était meurtrière. Son apparence se reflétait dans son écran : visage luisant de sueur, cheveux en bataille, cernes creusées et traits tirés. En quelques nuits, il avait pris dix ans. Ses doigts tremblaient légèrement, suspendus dans l'air au-dessus de son P-C. Il rangea frénétiquement tout ce qui traînait sur son bureau – papier, dossier, chemise, verre – et vérifia que tout fonctionnait parfaitement. Une fois rassuré, il se laissa choir dans son fauteuil et ouvrit sa chemise. La chaleur était insupportable dans la pièce. Écrasante, oppressante, étourdissante. Il était en transe, suintant de transpiration. Comme à chaque fois, le nœud de sa cravate l'empêchait de respirer convenablement. Il le desserra. Ses mouvements étaient saccadés, maladroits, hasardeux. Tellement de choses s'étaient passés depuis le dernier appel avec Duchamp : les nouvelles informations concernant Obolensky, la vérification des preuves, l'avancée de l'enquête. Sa gorge était toute nouée, sa poitrine comprimée, sa tête prise dans un étau. Il crut d'abord qu'il allait vomir mais non, cette nausée agrippait son estomac sans le lâcher. La sonnerie signifiant l'appel retentit, Lombard sursauta, arraché à ses pensées houleuses. Il décrocha et se plaça dans le champ de vision de la caméra. Ils étaient tous là, dans leurs costumes et leurs masques officiels. Ils paraissaient tous prêts à en découdre. Pourtant une tension indescriptible planait dans l'air.

— Bonjour messieurs les ministres, le brigadier et madame, annonça Lombard.

— Lombard, j'espère que vous avez de bonnes nouvelles à nous apporter... amorça Duchamp, sans détour.

Lombard se râcla la gorge. Nerveusement, il passa une grosse main dans ses cheveux en bataille. Son visage brillait d'une fine couche de sueur. Sa respiration se bloqua à plusieurs reprises dans sa poitrine. Il toussota et prit une nouvelle goulée de café avant de parler d'une voix qui ne lui appartenait pas.

— Ça prend forme, madame la ministre. Nous avons récolté un nombre suffisant de preuves pour dresser une information judiciaire sur de probables crimes contre l'humanité : les informations de Sidonie et le travail de fonds de Klein a pu nous aider dans la réalisation de ce dossier. De son côté, elle a pu rencontrer plusieurs témoins potentiels, a éclairci certaines zones d'ombre et a envoyé des commissions rogatoires en France pour la perquisition et les prélèvements dans l'appartement d'Obolensky à Bordeaux. C'est le brigadier Bernard qui doit s'en charger, normalement.

À la fin de sa tirade, Bernard acquiesça d'un mouvement de la tête. Une cigarette était logée entre ses lèvres et formait un épais écran de fumée dans lequel il semblait se noyer.

— Ça semble être de bonnes nouvelles, remarqua de Villebadin, las.

Au son de sa voix, Marc de Villebadin ne semblait pas convaincu par les propos de l'ambassadeur. Pire, le regard fuyant du garde des Sceaux n'échappa pas à Lombard. Ce dernier voulut reprendre la discussion, développer les pistes explorer. Il se gratta la barbe nerveusement, fixa les autres têtes comme pour chercher sur les différents visages une once de vérité. Il ouvrit la bouche, mais Duchamp l'interrompit, sa main parut balayer les propos de Lombard. Il fronça le nez, un poil agacé. Cette femme allait finir par le rendre fou.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant