CHAPITRE 119

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RUSSIE, DISTRICT IULTINSKY, TCHOUKOTKA, BÂTIMENT DÉSAFFECTÉ

68°5' DE LONGITUDE ET 179°2' DE LATITUDE

JEUDI 27 DÉCEMBRE 2012, 16 H 19

Ses ongles s'enfoncèrent dans ses tempes. Le sang perla au bout de ses doigts et les griffures marquèrent sa peau. Des respirations saccadées percèrent le silence, des souffles rauques et des borborygmes profonds. Le corps de l'agent du FSB se balançait d'une jambe sur l'autre. Tout son corps était en proie à d'étranges tremblements, chose qu'elle ne pouvait même pas calmer. Les paroles résonnaient dans sa tête, les rires, le son de la voix et les mots. Elle poussa un cri étouffé, guttural. Ses yeux se révulsaient dans leurs orbites. Elle leva la tête, fit craquer ses articulations. Elle s'accula contre le mur, une arme pointée sur sa tempe droite. Elle se laissa glisser contre la paroi, le visage livide et le regard dans le vague. Elle tourna la tête, envoya son bras et désarma l'homme. Elle se hissa sur ses pieds, il était déjà mort depuis longtemps. Elle l'avait tué de ses propres mains et aujourd'hui, son image la hantait. Sa respiration se bloqua dans sa poitrine, son cœur rata un battement. Alekseï Melnikov se recula, translucide à l'instar d'un fantôme. Elle le vit sourire, davantage une grimace d'ailleurs. Le gars se retourna et partit. Tout d'un coup, elle se retrouva seule avec ses pensées et les larmes sur ses joues. Elle fit volte-face, ce souffle chaud et cette odeur. Il n'y avait rien. Seul le ronronnement du groupe électrogène brisait le silence. Elle attrapa des objets sur le bureau en métal et lança une tasse contre le mur. L'écho se répercuta à trois ou quatre reprises dans le mur. Elle abattit son poing, secoua la tête, ferma les yeux. Tout était flou. Plus rien n'avait de sens. Elle perdait pied. Elle pivota, tenta d'avancer. Le brouillard l'empêcha de bouger, la paralysie dans ses membres la forcèrent à tomber à genoux. Elle déglutit, hurla.

— Putain de merde ! Mais qu'est-ce que j'ai fait !!!

Elle leva ses yeux vers le plafond. Autour d'elle, tout était noir. Pourtant, elle avait la désagréable sensation que quatre hommes l'encerclaient à l'instar d'une biche blessée, une proie. Elle envoya son poing dans le vide, renversa la tête sur le côté et attendit. Une nouvelle fois, elle prit son visage entre ses mains et griffa sa peau jusqu'au sang comme si elle voulait exorciser ses douleurs, son passé, cette psychologie qui lui faisait défaut depuis quelques semaines. Tous ses muscles se contractèrent, roulèrent sous son épiderme. Elle se mordit la lèvre si fort que quelques gouttes écarlates se répandirent dans sa cavité buccale. Elle grimaça. Plus rien n'avait d'importance. Elle devait se débarrasser de la magistrate. C'était de sa faute si elle devenait complètement folle. Ses prunelles de glace, à la limite du blanc, s'enténébrèrent et indiquèrent toute sa détermination. Une haine à l'état pure, le mal absolu, éclairait son regard. Elle se composa un visage impassible, enfila son masque et ses gants avant de retourner dans la chambre aux supplices.

— Tu as déjà entendu parler de l'aigle de sang ?

Sa voix n'avait pas été la sienne, profonde et grave. Elle avait chuchoté ses mots au creux de l'oreille de Klein. La juge s'était tendue, elle ne s'attendait pas à cette question. Elle tourna un visage inexpressif, angoissé, dans la direction de l'agent. Tout ce qu'elle vit, c'était cette rage cristalline dans son regard. Quelque part, un artificier avait façonné cette bombe et elle lui avait échappé. Sa respiration se coupa dans sa gorge quand elle sentit la lame tranchante caresser sa trachée. Elle hoqueta de surprise. Le Maniaque lui retira d'un geste son par-dessus et le lança un peu plus loin. Les températures frôlant les soixante en dessous de zéro firent frissonner la Française. Le bourreau approcha de la caméra et s'agenouilla devant l'appareil. Il sembla connecter les nouvelles technologies. Son corps se tordait de spasmes et de mouvements anormaux. Il était frappé d'une nouvelle crise. Cette fois, il se retourna vers la juge et d'une voix encore plus glaciale expliqua :

— L'aigle de sang, c'est sans doute l'ultime création qui parachèvera mon œuvre. Peut-être la pire... tes collègues te retrouveront pendue au milieu de ce hangar avec tes poumons en dehors de ta cage thoracique, vidée de ton sang et morte.

Les heures s'égrenèrent, sans saveur. Les tortures redoublèrent, les coups, les lacérations et l'acharnement psychologique. Smirnova enfonça la lame au fond du bas ventre de la magistrate. La douleur fulgurante lui tira une larme. Elle pensa d'abord au bébé... à ce petit bout de trois mois et demi... il ne survivrait pas... Son bourreau tailla dans sa chair, laissa libre court à son imagination. Le sang afflua des plaies, s'écoula sur le sol, gicla sur son costume. Rapidement, une puanteur de charogne atroce remplaça l'émanation de fer caractéristique du sang. La caméra enregistrait tout et retransmettait tout sur internet. À quelques huit mille kilomètres, les ministres et les agents de la DGSE étaient impuissants face à leur ordinateur. Tout le monde assistait à cet abominable spectacle en se demandant ce que l'équipe d'intervention faisait. Des cris étouffés par le sang remplis la pièce. Klein sentit ses poumons se remplir de sang, la vie la quittait au rythme des fluides qui s'écoulaient. Puis, son bourreau s'arrêta. La femme admira son travail. Ce corps mutilé, méconnaissable, faisait face à la caméra. Les plaies dessinaient une carte sur le ventre de la magistrate. Ses bras tendus en croix, accrochés par des chaînes aux morceaux de bois, témoignaient de l'aspect religieux des meurtres. Tout était lié. Puis, elle l'avait contourné et avait commencé à enfoncer sa lame de chaque côté de la colonne vertébrale. La douleur était atroce, insupportable. Des cris déchirants, des supplications et des grognements, remplirent la pièce. D'un coup, Klein sentit un liquide visqueux couler le long des plaies. Se mêla à sa douleur ulcérant, une brûlure attaqua sa chair et ses tissus. Le hurlement qui passa la barrière de ses lèvres était puissant, fort. Une odeur désagréable, puissante, lui chatouilla les narines. Elle n'eut aucun mal à reconnaître les hydrocarbures, plus précisément l'essence. Elle n'avait pas besoin d'y réfléchir à trois fois. L'autre cinglé voulait lui mettre le feu. Elle crispa tout son corps, espérant faire bouclier aux flammes dévorantes. Le Maniaque reprit son œuvre dans son dos, entreprit d'enfoncer la lame plus profonde quand des lumières rouges s'affolèrent ainsi que des alarmes. Là, son bourreau se recula. Son souffle s'accéléra et les battements de son cœur redoublèrent d'intensité. Elle n'eut pas le temps de récupérer son matériel avant de fuir. Interrompue par cette unité...

À l'extérieur, son uniforme noir lui permit de se fondre dans l'obscurité. L'agent du FSB progressa à tâtons, sur les sentiers en sable et rejoignit sa jeep garée de manière dissimulée sous quelques carports à moitié effondrés. Elle grimpa du côté conducteur, mit le contact et démarra. Elle quitta les lieux en trombe, incognito. Ses phares éteints l'empêchaient d'être repérés de loin. Elle reprit une route plus large et partit se planquer à quelques kilomètres de là dans la brousse, dans une maison de fortune qu'elle avait mise elle-même sur pied.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant