CHAPITRE 113

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MOSCOU, 45, RUE BOL'SHAYA YAKIMANKA, AMBASSADE DE FRANCE

SAMEDI 22 DÉCEMBRE 2012, 23 H 39

Aux sous-sols de l'ambassade de France, c'était l'effervescence. Une agitation hors du commun grouillait dans les couloirs peu éclairés. Des cris, des bousculades, le code rouge, une situation d'extrême urgence. Au côté des quatre agents des renseignements, Lombard tentait de décortiquer les nouvelles. Tous essayaient de comprendre comment Mattias Mercadier alias Stanislav Orlov avait pu passer entre les mails du filet. Comment au ministère, on avait pu être aussi incompétent, inattentif ? Au point de commettre l'irréparable, de faire entrer le loup dans la bergerie. Autre problème, Monica Klein était en ce moment à la merci de ce terroriste sans vergogne. Lombard enroula ses doigts autour du rebord de la table. Il serra si fort que les jointures de ses phalanges devinrent blanches. Quarante-huit heures qu'il n'avait pas dormi, pas mangé. Il était au bord de l'implosion, tenait debout grâce à l'adrénaline et aux dopamines qu'il s'envoyait toutes les heures. Ses yeux exorbités étaient injectés de sang.

— Par pitié, dites-moi que vous avez quelque chose !

— Rien, monsieur l'ambassadeur ! répondit l'agent au bord de la crise de nerf lui aussi.

La vue du diplomate se brouilla, sa tête tourna. Pas encore. Il frappa de son poing valide sur la table et hurla :

— Trouvez-moi quelque chose ! Dépêchez-vous !

Il fit quelques pas et se retrouva au côté d'une jeune femme en queue de cheval brune. Ses doigts pianotaient à une vitesse folle sur le clavier. Cette ex-fiché S pour piratage des systèmes informatiques les plus sécurisés avait été arrêtée quelques années auparavant et face à ses talents, le gouvernement l'avait recruté au sein de ses locaux pour pirater les domaines les plus hermétiques. Elle s'était prise au jeu.

— Vous êtes parvenue à joindre la juge Monica Klein ?

— Non, monsieur. Je suis sincèrement désolée.

Lombard vrilla. Il vit rouge. Si elle disparait, il pourrait dire adieu à son poste et ça signerait la fin de sa prestigieuse carrière. Impossible. Il attrapa son portable, composa le numéro de la juge d'une main tremblante. Ses doigts étaient engourdis, paralysés. Il lâcha même le petit appareil qui s'écrasa sur le sol dans un bruit retentissant. Il le récupéra.

— Vous êtes bien sur la messagerie de Klein, juge d'instruction...

Il lança furieusement le cellulaire au travers de la pièce. Tous le regardèrent avec stupéfaction. De coutume, Lombard était quelqu'un de calme, diplomate et conciliant. Là, il ne contrôlait plus ses émotions, ses accès de colère. Il se tourna vers la brunette et expliqua d'une voix plate, monocorde :

— Appelez le ministre des Affaires étrangères, dites-lui que j'arrive tout de suite !

— Très bien, monsieur.

Lombard tourna les talons et sortit de la pièce comme un robot. Une affreuse douleur lui transperça la poitrine. Il y appuya sa paume, tentant de prendre une grande respiration. Après ce court instant de faiblesse, il remonta les escaliers derechef et interpella son chauffeur. Il lui expliqua rapidement la situation, qu'il devait se rendre au plus vite au ministère des Affaires étrangères place Smolenskaya.

L'immense gratte-ciel stalinien s'élevait sur le ciel face à lui. Lombard connaissait ce somptueux édifice comme l'une des Sept Sœurs. Pour la première de sa vie, il ne s'émerveilla pas devant le bâtiment. Bien trop occupé à gérer ses émotions, son sang bouillonnait dans ses veines et pulsait contre ses tempes. Il fulminait, littéralement. Engoncé dans son costume trop serré et sa cravate à moitié débraillée, il parcourut quatre à quatre les différents secrétaires et conseillers politiques avant de gagner le bureau du ministre. Lombard fit irruption dans la pièce, comme une furie. Ce dernier parlait de manière passionnée au téléphone. Quand ses yeux se posèrent sur Lombard, fantomatique et profondément agacé, son attitude changea du tout au tout. Il raccrocha et demanda tout en incitant l'ambassadeur de France à s'installer dans un fauteuil :

— Monsieur Lombard, comment puis-je vous aider ?

— Monsieur le ministre des Affaires étrangères, je ne vais pas y aller par quatre chemins ! lâcha Lombard, amer.

— Nous ne sommes plus à ça près, monsieur l'ambassadeur. Dites-moi ?

— La juge d'instruction Klein est actuellement en danger, alors je vous demande de collaborer sans quoi une crise diplomatique sans précédent s'abattra sur les relations franco-russes. Je pense que c'est tout dans votre intérêt de préserver les relations en réglant cette situation désagréable...

— Je ne comprends pas bien en quoi ça me concerne.

— Stanislav Orlov ou Mattias Mercadier, ça ne vous dit vraiment rien ?

— Comment... ? bégaya le ministre, pris de cours.

— Aucune importance, mais sachez que s'il arrive le moindre pépin, l'État français vous le fera payer très cher. Alors c'est dans votre intérêt de faire rapatrier Klein au plus vite à Moscou.

— Monsieur l'ambassadeur, ce n'est pas aussi simple que vous pensez le croire. Je vais voir ce que je peux faire. Je vais prendre contact avec mes collègues de l'Intérieur, de la Défense et le Premier ministre.

— Nous n'avons pas le temps pour les négociations en bureau, sortez-là d'ici sans attendre. Nous pouvons vous fournir des forces armées pour une exfiltration en urgence.

— Là, n'est pas le problème... il faut...

— Vous êtes tous complice de cette situation, je pense que si cette machination était mise au jour, ça nuirait grandement à l'image du pays sur la scène internationale... À vous de choisir, sortir Klein de ce guet-apens ou votre image.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant