CHAPITRE 110

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SIBÉRIE ORIENTALE, VILLAGE DE TOMTOR

SAMEDI 22 DÉCEMBRE 2012, 11 H 45

Mercadier attendait patiemment à l'intérieur de la Jeep, confortablement installé sur la banquette arrière. Engoncée dans son manteau noir, Klein était au téléphone. Elle piétinait sur place, la tête baissée. Son visage était livide, blanc comme la neige. Des volutes de vapeur s'échappaient de ses lèvres à chaque fois qu'elle parlait. Au vu de sa gestuelle, Mercadier comprit qu'elle était agacée. Il n'hésiterait pas une seule seconde à lui poser la question. Soudain, elle se redressa et raccrocha. Elle resta quelques minutes à regarder l'écran de son téléphone. Son visage pâlit encore davantage. Elle semblait tomber de haut. Mattias plissa les paupières, sûrement une mauvaise nouvelle. Elle fourra son téléphone dans sa poche et se frotta les mains vigoureusement. Après quelques secondes de flottement, elle entra dans la Jeep.

— Ça va ? demanda Mercadier.

— Ouais, répondit Klein sur un ton profondément agacé.

Les minutes s'égrenèrent. La magistrate enfonça sa main à l'intérieur de son manteau comme pour se réchauffer. Une tension palpable naquit entre eux. Une sorte de distance les séparait. Mattias tourna le visage vers la vitre. Il n'osa pas parler. Klein demanda soudainement, les dents serrées :

— Pourquoi vous avez fait ça ?

Mattias se tourna vers elle. Qu'était-il en train de se passer ? Ses yeux se posèrent sur Klein, sondèrent son âme. Sa main se trouvait encore sous le pan de son manteau. En un éclair, elle dégaina une arme de poing de type Beretta. Elle pointa le canon du pistolet sur le torse de Mattias. L'agent pâlit. Sa poitrine se souleva à un rythme effréné. Son cœur palpitait dans sa poitrine. Une pointe d'angoisse lui traversa la chair. Il tremblait de tous ses membres. Il semblait chercher la réponse adaptée :

— Écoutez...

— Ne bougez pas ! murmura Klein.

Les perles noisette de la magistrate lançaient des éclairs. Une ombre passa sur son visage et se répercuta dans ses gestes.

— Quoi... Quoi que vous pensiez savoir... balbutia Mattias, la gorge nouée par l'angoisse.

— Je sais tout ! l'interrompit Monica.

Elle avait le dessus sur lui. Son arme braquée sur son torse, chargée, était un sacré avantage. Le cerveau de l'agent tournait à cent à l'heure. Il réfléchissait à une façon de se sortir de ce mauvais pas. Il voulait détourner l'attention, gagner un peu de sursis. Ses bajoues flanchaient à chaque respiration. Ses mâchoires s'entrechoquèrent à plusieurs reprises. Il contracta les poings et jeta un coup d'œil inquiet à l'extérieur.

— Klein, posez ça. Est-ce que seulement... vous avez envisagé ce qui se passera après... après avoir appuyé sur la détente ?

Klein chargea l'arme d'un geste et retira le cran de sécurité. Son visage demeurait de marbre, impavide, gouverné par une haine certaine. Elle répondit d'une voix monocorde, bien trop calme :

— La menace nationale sera écartée...

— Mais pour vous ? embraya à nouveau Mattias.

Il commençait petit à petit à voir la vérité, à comprendre ce qu'il s'était passé dehors. Elle avait eu la preuve qu'il jouait sur deux plans distincts, qu'il était un agent de contre-espionnage. Une douleur éclair lui torpilla l'estomac et le força à appuyer ses mains sur son abdomen. Monica reprit, d'une voix bien trop posée :

— Ce qui arrivera sera justifié par l'intérêt général... je ne risque rien.

Le téléphone de Mercadier commença à vibrer dans l'habitacle. Les respirations se tendirent, les cœurs battirent plus vite. Il garda ses mains bien en évidence et expliqua d'une voix calme :

— Ce doit être les grands patrons, si je ne réponds pas... ils se douteront de quelque chose, c'est le protocole.

Klein plissa les paupières, sembla jauger la réponse de l'ennemi. Convaincue, elle exécuta un infime signe de la tête pour qu'il décroche. L'agent se pencha et attrapa le cellulaire. Il le déverrouilla et le plaça près de son oreille.

— Allô ?

Mercadier fronça légèrement les sourcils. Ce n'était pas du tout les grands patrons. Il serra les mâchoires et lâcha, amer :

— Un instant, je vous prie.

Monica resserra son index sur la détente. Mattias tendit le petit appareil vers elle. La tension était à son comble entre eux. Il explicita :

— C'est pour vous.

Monica attrapa le téléphone, sourcils froncés. Elle baissa son arme et lâcha :

— Qui est-ce ?

— Monica, j'ai appris ce qu'il s'était passé. Je sais qui est Mattias Mercadier, je suis au courant qu'il a entubé le gouvernement français. Mais malgré tout, tu dois être forte. Je sais que tu es danger mais tiens encore un peu, nous allons venir te chercher. Personne ne te laissera tomber aux mains de l'ennemi, n'aies crainte. Ici, tout le monde a foi en toi. Tu es en train de réaliser ce que personne pensait que tu étais capable de réaliser. Tu es au bord de la vérité. Ne fais pas de connerie, sinon on te perdra... moi, je ne peux pas me permettre de te perdre. Alors bats-toi. Tu l'as déjà fait, tu peux le refaire. J'ai foi en toi.

La voix d'Éric Taine résonna dans le combiné. Au fil de sa tirade, une larme perla aux coins des yeux de Monica et coula sur sa joue. Sa respiration s'accéléra. Elle perdait pied. C'était indéniable. Ce coup de fil arrivait à poing. Tout était millimétré comme sur du papier à musique. Le plan se déroulait à la perfection. C'était le moment ou jamais pour retourner la situation, reprendre le dessus. Mattias s'apprêta à agir. Au moment où Monica raccrocha, Mattias lui flanqua un coup sur le poignet. Elle lâcha son arme. Il la saisit aussi vite et la pointa sur elle. Monica déglutit. Elle n'en croyait pas ses yeux. Elle allait mourir là. Un rictus machiavélique étira les lèvres de l'agent, il articula :

— Je peux vous dire qu'ôter une vie est un poids insupportable pour la conscience. Chaque seconde, chaque minute, chaque heure, chaque jour qui passe... vous aurez constamment en mémoire ce que vous avez fait et comment vous l'avez fait. Vous n'aurez plus aucun répit. Vous ne pourrez jamais l'effacer de votre esprit. Vous ne pourrez pas revenir en arrière. Vous connaissez ce feu, cette haine qu'on ressent ? Celle qui se nourrit de vengeance, de colère, d'envie et de châtiment ? Moi, je l'appelais justice, mais visiblement je me suis trompé. Au mieux, c'était des représailles contre l'État français. Je vous le dis, parce que je le sais : ce feu ne s'éteint jamais, quoi que vous fassiez et il vous consume et fait de vous une torche humaine... Vous m'avez demandé pourquoi j'avais fait ça... (il fit une pause, réfléchit.) Je vais vous le dire : j'ai été engagé par le SVR pour servir les intérêts de la Russie. J'ai intégré les services de renseignement français. Puis j'ai vu ce que vous avez fait... J'ai vengé la Russie, mon pays. Vous êtes tous des pourritures. Et j'ai été contacté par le Maniaque. Il m'a demandé de l'aider à dissimuler les preuves... en commun accord, avec lui et son père, j'ai utilisé cet appartement à Bordeaux... le plan était parfait, jusqu'à ce que vous commenciez à enquêter. Là tout a dérapé.

— Vous confirmez donc que cette série de morts parmi les témoins sont l'œuvre du gouvernement ?

— Nous fonctionnons toujours comme ça. L'important est de ne pas salir la réputation du pays. Vous devez le comprendre mieux que quiconque. Vous traînez beaucoup de casseroles derrière vous...

Monica fronça les sourcils. Sa gorge se noua face aux révélations de Mattias. Ce psychopathe était bon, très bon. Il avait manipulé n'importe qui à commencer par elle. Elle secoua la tête, tenta de se changer les idées... tout à coup... un puissant courant électrique traversa son corps et la paralysa. Trou noir... Mattias palpa le corps inerte, vérifia qu'elle était bien inconsciente et rangea l'arme. Elle était douée. Très douée. Mais le vent allait tourner pour elle.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant