CHAPITRE 82

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MOSCOU, 40, RUE RUBLEVSKOYE SHOSSE, SERVICE DE PHOTOGRAPHIE

VENDREDI 30 NOVEMBRE 2012, 18 H 00

Le petit appareil photo en forme de briquet à pierre renfermait bien des secrets. Klein était d'ailleurs déterminée à en percer tous les rouages. Son poing serrait fermement le précieux objet tandis qu'avec Mercadier, ils approchaient d'un bâtiment. La façade ne payait pas de mine, de blanc à gris. À gauche d'une porte marron, une plaque dorée présentait une suite de caractère en cyrillique. Mercadier lança un regard joueur à sa collègue, chose qui la fit frissonner :

— Service de photographie, princesse.

Un sourire sincère étira ses rictus. Monica baissa la tête, regarda ses pieds et suivit l'agent de la DGSE à l'intérieur de l'édifice. Le couloir était sombre, les murs et le sol étaient maculés de substances nauséabondes. Deux énormes rats grouillèrent et partirent se cacher sous un amas de parpaing. Une ampoule éclairait faiblement l'endroit. À un temps d'intervalle régulier, des gouttes d'eau tombaient sur le béton. Mattias entra dans une espèce de vestibule. L'open-space ne portait pas la moindre trace d'aménagements personnels. Une forte odeur d'encre et de produits chimiques embaumait les lieux. Une grimace étira les traits de Monica, Mattias ne put s'empêcher de sourire :

— Il fait du développement de photo argentique.

— D'où les odeurs !

Mattias esquissa un faible sourire et il toqua à une porte métallique grise. Une voix caverneuse retentit de l'autre côté du mur. Le duo entra. Nouvelle odeur chimique saisit Monica à la gorge. Tout était sombre, sans fenêtre avec une température et une hygrométrie réglée au degré près. À gauche, des bassines contenaient du liquide translucide et des feuilles de papier glacé. À droite, des photos sur papier glacé séchaient accrochées sur un fil à linge. Un établi était installé contre un mur sur lequel reposait tout un tas d'instruments chirurgicaux que Monica ne sut identifier. Plusieurs bidons étaient entreposés dans un coin et marqués de caractère cyrillique. Mattias approcha de son hôte :

— Eh salut ! Comment tu vas Abarnikov ?

— Mercadier, tu as cette pellicule ?

— Bien-sûr, qu'est-ce que tu crois !

Mercadier attrapa le poignet de Monica et la tira devant lui. La magistrate resta coi quelques secondes puis tendit le briquet joliment décoré. Abarnikov l'examina sous toutes ses coutures, d'un œil avisé. Il saisit une espèce de petit pic à glace et ouvrit l'objet. Il en ressortit une minuscule pellicule de photos argentiques. Il entreprit d'opérer le développement des photos sous l'œil attentif de Mercadier et Klein. Lui paraissait intéressé par ces techniques, alors qu'elle n'y comprenait rien du tout. Il remplit une bassine de liquide translucide à forte odeur. Muni d'une pince, il humidifia le film.

— Je m'assure qu'il est à la bonne température... commenta-t-il.

Il continua ses manœuvres : ouverture du diaphragme, vérification du temps d'exposition et grade pour le contraste. Il récupéra ensuite un bidon et en versa une quantité dans une bassine vide. Une espèce de base appelée produit révélateur. Abarnikov trempa durant un temps assez court le papier photosensible dans la bassine : soixante secondes ou peut-être plus. L'image apparaissait sur des tons bleutés, cela étant lié au couple papier/révélateur.

— Je vais ensuite passer l'image dans un bain d'arrêt. Attention, ça sent mauvais !

Une forte odeur caractéristique de l'acide acétique se répandit dans l'air. L'image sembla apparaître, plus nette et plus foncée. Il sembla régler la température du liquide. Il le sortit au bout de quelques dizaines de secondes du bain d'arrêt et d'un coup d'œil sembla analyser les défauts du papier. La nouvelle étape était un passage dans le fixateur.

— Je vais utiliser de l'hyposulfite de sodium... Je suis un grand traditionnel moi. Ça prendra cinq minutes à peu près. J'espère que vous avez le temps.

— Je suis toujours très fan de tes leçons de développement de photos !

Mattias expliqua grossièrement les différentes étapes à Monica. Celle-ci siffla, impressionnée par la dextérité dont il fallait faire preuve. Elle observa avec attention Abarnikov, sans broncher. Le développeur chantonnait un air russe connu de l'Armée rouge. Kalinka, kalinka. Il manipulait ses pinces sans trembler, une petite ride creusée entre ses deux sourcils.

— Je pense que ça va le faire. Je vais vous améliorer le rendu de l'image, sa conversation par le procédé de virage. Regardez bien ça, en revanche madame, pincez-vous le nez...

Monica fronça les sourcils. Elle ne comprit pas l'allusion d'Abarnikov. Mattias lui expliqua alors avec un petit rire moqueur :

— Le produit qu'il utilise pue l'œuf pourri.

— Je comprends mieux.

— Vous êtes prêt mes poussins ?

Klein promena son regard autour d'elle. Des images étaient punaisées au mur, suspendues à des fils. De cette exposition émanait le professionnalisme du développeur. Il vérifia une dernière fois la température et l'hygrométrie et passa au rinçage de l'image. Ça devait durer encore quelques minutes et tout serait enfin prêt à être examiné. Pour plaisanter, Abarnikov demanda :

— Je vous fais des retouches ?

— Ça ira. On ne fera pas d'exposition avec ses photos, monsieur Abarnikov.

— Très bien, madame. Dans ce cas, regardons ce que nous avons là...

Il avait développé une photo. Le duo se jeta un regard entendu. Sur le cliché apparaissait trois personnes. Au centre, on y reconnaissait sans problème Victor Obolensky. Le dirigeant du club tenait par les épaules deux femmes... Un sentiment de déjà-vu... Le trio souriait fièrement, au côté d'une pancarte signalisant l'entrée de Tomtor – un village en Sibérie orientale, à la Kolyma. Monica braqua des yeux écarquillés sur le cliché fraîchement révélé. Une fois le sentiment de surprise passé, elle prit une longue inspiration chargée d'acide et de produits chimiques. Les pièces du puzzle commençaient à s'assembler dans sa tête : le sentiment de familiarité, les visages souriants, l'air déterminé d'Obolensky et le village. À ses côtés, Mercadier ne parlait pas. Il semblait perdu dans ses pensées.

— Je comprends mieux pourquoi il me parlait de la Kolyma... murmura Klein à voix-basse, pour elle-même.

— Tu dis ? demanda Mattias.

— Tomtor, c'est bien dans la région de la Kolyma ?

— Oui. Je me suis fait la même réflexion. Je pense qu'un nouveau périple s'impose.

Monica examina la photo. L'une des femmes lui était familière mais la deuxième ne lui disait rien. Elle pointa de l'index la femme de gauche et demanda à Mattias :

— Est-ce qu'à tout hasard tu la reconnaîtrais ?

— Pas le moins du monde, mais je vais faire des recherches... mentit Mattias.

Il était ailleurs. Plusieurs idées lui martelaient le crâne sans arrêt. Monica regarda encore la photo et avec autorisation d'Abarnikov, elle l'embarqua. Le duo quitta les lieux dans un état de torpeur profond.

Supplices de Toundra - 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant