Chapitre 1

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Dorian

Furieux. Voilà le qualificatif approprié pour décrire mon père, ce grand coureur automobile dont la carrière s'est terminée brutalement, il y a quatorze ans. Derrière la visière de mon casque, je l'observe sans vraiment l'écouter. Sa rage qu'il manifeste sans arrêt est un disque rayé qui rebondit à l'infini sur les mots « incapable » et « Tu me fais honte ». Toute l'équipe les connaît par cœur et pourtant plus personne n'a le réflexe de me défendre, à moins d'un désir profond de se faire éjecter de son poste au sein de l'écurie.

Critiquer un dérapage trop prononcé ou ma ligne imparfaite qui frôle un muret de béton n'est qu'un prétexte pour marteler ses mots cruels. Les feux de pacotille, que mon père prend plaisir à allumer et éparpiller le long de mon existence, s'enflamment avec toujours plus de violence. Sa créativité à me rendre responsable de tout n'a aucune limite et me précipite dans un gouffre où la chute libre se poursuit depuis des années.

La ruine de son entreprise, à laquelle je participerais avec la minutie d'un horloger, reste le reproche le plus courant. Un aileron arrière égratigné ou des pneus usés prématurément par mon supposé manque de prudence lui coûteraient des sommes faramineuses en entretien.

Devrai-je lui rappeler sans relâche que, pour obtenir l'excellence qu'il réclame, quelques écarts doivent d'abord être réalisés pour tester la limite de la voiture ?

Comme à son habitude après une nouvelle séance d'entraînement, le grand patron de Firsten Révolution gesticule tandis que je m'extirpe par la fenêtre de mon bolide. Il croit que je vais l'écouter rabâcher ses insultes pour la millième fois, mais mon trop plein d'amertume forme une carapace infranchissable en cette journée épuisante.

C'est lui qui m'a traîné dans son écurie et inscrit en course automobile à l'âge de treize ans. À cette époque, je m'amusais encore, comme doit le faire un enfant lors d'une activité récréative.

Pour lui, cela signifiait toutefois plus qu'un simple passe-temps. Les projets qu'il cultivait à l'égard de son fils ne s'accordaient pas avec mon goût de liberté. À mes quinze ans, lorsque maman s'est finalement libérée de ses chaînes, il insistait déjà trop. Alors, quand j'ai atteint mes dix-sept ans, et que son coureur numéro un a mis fin à son contrat, il s'est rabattu sur moi et ma naïveté d'adolescent. Toutes ses belles paroles comme quoi il croyait en mon potentiel et que je serais son digne successeur se sont envolées dès que j'ai accepté de rejoindre l'équipe. Je représentais son plus grand espoir, et il n'était pas question que je le déçoive.

Aujourd'hui, à vingt-sept ans, je suis blasé de ses sempiternels éclats de rage. Au cours des années, j'ai tenté différentes approches infructueuses. Le supplier de me laisser respirer et vivre un peu ma vie ne l'a pas adouci, bien au contraire. Il n'a su que me donner encore plus de responsabilités. Je me souviens encore de cette première fois où j'ai eu affaire à ce nouveau père imperturbable.

« Tu n'es pas une mauviette, Dorian. Ce n'est pas en t'aplatissant devant le téléviseur que ton talent va s'affirmer. On part dans cinq minutes pour l'entraînement. Tu as toute une équipe qui compte sur toi pour remporter le championnat et amener de la nourriture dans leur foyer. »

Cette misérable tentative d'obtenir sa pitié a plutôt intensifié la pression déjà très forte exercée sur mes jeunes épaules ; celles d'un homme à peine sorti de l'enfance, catapulté dans l'arène où le lion à combattre s'avéra être son propre père.

Ma seconde erreur se résuma à quémander du temps en compagnie de mon frère et ma sœur après le changement drastique de mon horaire de travail devenu plus long et éreintant. Le peu d'interaction avec ma fratrie provoquait un terrible manque qui s'accentuait de jour en jour.

Burn outOù les histoires vivent. Découvrez maintenant