Chapitre 19

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Le grabuge d'un groupe d'ivrognes matinaux errant dans la rue tira Kaito de son trop court sommeil. Il maudit les fauteurs de troubles en son for intérieur. Le soleil n'était pas encore haut dans le ciel, mais ses rayons éclairaient l'entièreté de la chambre. Sa mauvaise humeur s'envola dès qu'il posa les yeux sur Takeshi, lové contre son torse nu. Ce dernier enlaçait sa taille et sa tête était logée au creux de son épaule. Il ne pouvait rêver d'un réveil plus merveilleux.

Il remarqua vite leurs semi-nudités. Les températures étant clémentes, il s'était lui-même débarrassé du haut de ses vêtements sans s'en rendre compte, et la veste de kimono de Takeshi avait glissé au sol dans la nuit, le laissant dans ses simples dessous. Visiblement, la douceur de leur dernière étreinte les avait happés dans un profond sommeil.

Il réalisa qu'il n'avait pas pris le temps – ou plutôt eu l'indécence – de détailler ce corps élancé. Takeshi ne s'était jamais entièrement dévêtu devant lui, à la lumière du jour, et se couvrait dès qu'il en avait l'occasion. La musculature sèche de ses bras fins et de son dos correspondait à quelqu'un qui n'avait aucune expérience au combat, mais possédait un cœur endurant. Un homme qui avait une activité physique, mais insuffisante pour un guerrier.

Ainsi assoupi, Takeshi ressemblait à un ange, pur et vulnérable. Un ange qui avait pourtant absorbé les ténèbres pour le sauver de la mort. Kaito sourit ; cet énergumène n'avait pas fini de le surprendre... Il effleura du bout des doigts quelques mèches hirsutes sur son front. Son regard dévia sur son épaule droite. Il écarta sa chevelure pour dévoiler la cicatrice sinueuse qui la parcourait, jusque-là bien dissimulée sous sa masse capillaire : une balafre d'au moins dix centimètres. Une brûlure ? Comment Takeshi avait-il pu se brûler d'une manière si étrange ? Il fronça les sourcils. L'imaginer en souffrance l'insupportait.

Son doigt remonta le long de son trapèze jusqu'à son cou en une caresse délicate. Il aurait pu rester ainsi durant des heures à contempler ce beau visage paisible. Une idée qui aurait à coup sûr fait fuir son adoré, s'il avait pu lire dans son esprit.

À son grand dam, les beuglements des ivrognes éveillèrent l'endormi. Ce dernier gémit de bien-être en s'étirant comme un petit félin. Kaito dissimula un sourire. Lorsque Takeshi découvrit sa position, il fit un bond et se décolla de lui. Mais l'étroitesse du matelas maintenait leurs deux corps serrés l'un contre l'autre – pour le plaisir de Kaito, qui se réjouissait de cette proximité imposée. Il culpabilisa aussitôt à cette pensée triviale. Ses sentiments corrompaient sa morale. Ses frustrations, aussi...

Takeshi déduisit de la désinvolture de son prince que leur intimité physique n'avait plus d'importance à ses yeux, au même titre que la nudité.

— Comment te sens-tu ? l'interrogea-t-il.

— C'est à toi qu'il faut poser la question. Tu es celui qui a absorbé ces choses en toi le dernier.

— Je me sens tout à fait normal.

Il baissa les yeux, fuyant.

— À vrai dire... j'aimerais qu'on évite de reparler de ce qu'il s'est passé.

— Pourquoi ?

— J'ai... j'ai peur de ce que je pourrais découvrir sur moi. Et j'appréhende aussi la réaction de ton père.

Kaito assentit par un hochement de tête rassurant ; il comptait bien écarter ses craintes pour agir de manière rationnelle.

— Mon père n'en saura rien. Ni personne, d'ailleurs. Ne t'en fais pas pour ça.

Takeshi lui rendit un sourire reconnaissant.

— Tu n'as aucun moyen de savoir ce qu'étaient ces... cendres ?

Entre ombres et lumière T1: Le secret des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant