Sous le pommier en fleurs, Kaito observait la cité, illuminée peu à peu par les feux nocturnes. Portés par la brise tiède du soir, quelques pétales roses vinrent effleurer son chignon sauvage et glisser sur les pans négligemment ouverts de son kimono. Il ne s'était pas rendu en ville depuis plusieurs jours. Le mieux à faire, désormais, était de se taire, de respecter la volonté de Takeshi et de patienter, hors de sa vue. Même si cela nourrissait un profond désespoir.
Des éclats de rire brisèrent sa bulle. Un couple de voix familier... Il tourna la tête et découvrit Kazu et Takeshi, bras dessus bras dessous. Ses poings se crispèrent sur ses cuisses. Les gloussements de sa sœur l'insupportaient et les savoir si souvent ensemble comme s'il était sien lui hérissait le poil.
Il se leva pour rejoindre ses appartements, la boule au ventre. Les yeux des deux garçons se rencontrèrent un instant, puis Kaito les dépassa tous deux sans un mot. Surpris de ne recevoir aucune forme d'intérêt de sa part, Takeshi le suivit du regard. Il afficha une moue contrariée. Sa déception était impossible à nier.
Au-delà des ressentiments, il prenait conscience que la douleur était la plus forte, et qu'il ne pouvait ni l'ignorer ni lutter contre, malgré ses nombreux efforts pour brider son cœur et paraître fort. Derrière Kazu, le petit coin de jardin de son prince et leur panorama de rêve, celui où, il y avait encore deux mois, ils se prélassaient ensemble. Son menton retomba. La rancœur avait fait son temps, mais le chagrin, lui, ne connaissait pas de fin.
« Il n'y a jamais eu de nous. » Takeshi se pinça les lèvres. Comment avait-il pu ainsi bafouer leur relation ? Les torts de Kaito n'excusaient pas sa propre méchanceté. Il porta une main à sa poitrine. Depuis quelques semaines, les ressentiments noircissaient peu à peu son âme et le faisaient ressembler aux hommes qu'il abhorrait. Cette idée le révolta tout autant qu'elle l'effraya.
Il n'avait jamais été vindicatif – au fond de lui, il en était persuadé – et il refusait que son égo blessé influençât ses actes. Il désirait conserver sa bienveillance, même si son cœur devait en subir les conséquences. Au souvenir de l'expression meurtrie de Kaito, la culpabilité le rongea. L'image qu'il avait ce soir de lui-même était révoltante.
— Takeshi-kun ? Veux-tu que l'on...
— Excuse-moi, Kazu-chan, je dois...
Sans lui laisser le temps d'achever sa phrase, la princesse captura sa bouche et força la barrière de ses lèvres. Pris au dépourvu, il saisit fermement ses poignets au moment où ses mains se faufilaient sous ses vêtements.
— Kazu-chan, arrête, s'il te plaît.
— Mais... Takeshi-kun !
— Je dois partir, excuse-moi, dit-il en joignant les paumes avant de courir vers la maison.
Il avait beau avoir été avili par ses condisciples, cette tension entre eux n'était plus vivable. Il devait affronter Kaito et confesser sa culpabilité. En surgissant dans le couloir, pris dans ses pensées, il heurta le principal concerné de plein fouet et perdit l'équilibre. Kaito le rattrapa aussitôt au creux du coude. Les mains plaquées contre son torse nu musculeux, collé à sa chaleur, Takeshi vira au cramoisi. Il s'écarta rapidement en balbutiant.
— E-excuse-moi.
Kaito l'observa. Ce simple contact avait suffi à le mettre en émoi. Mais il devait se taire. Se taire et garder ses distances. Chaque fois qu'il avait ouvert la bouche ou tenté de rattraper la situation, il avait empiré les choses.
— Kaito-sama...
Le prince tourna les talons pour ne pas se trahir, le cœur battant la chamade, et s'enferma dans sa chambre. Takeshi resta prostré dans le couloir, atterré. Il baissa la tête.
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Entre ombres et lumière T1: Le secret des Dieux
FantasyAprès avoir été banni de son clan dans des circonstances tragiques, le prince Takeshi perd la mémoire lors d'une traque. Kaito, prince héritier d'un clan rival, le sauve cette nuit-là d'un sort funeste. Les hostilités se profilent entre les deux gar...