Chapitre 36 - part 2

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Kazuhiro s'épouvanta face aux trois cadavres qui gisaient dans la chambre. Tsubasa avait osé cibler son fils héritier. Ce fou arrivait encore à le surprendre en mal, même après de longues décennies. Kaito veilla à utiliser les meilleurs termes pour témoigner de la manière dont son ami l'avait sauvé sans éveiller la méfiance de son père envers lui.

À ses côtés, Takeshi prit soin d'éviter le regard du chef de clan et resta muet, l'oreille basse. La situation le dépassait. Et ses propres actes l'inquiétaient. Entre la haine et une profonde empathie, il pouvait basculer d'un extrême à l'autre – soit l'exact opposé de ce qui pouvait rassurer le patriarche Kimura à son sujet...

Kazuhiro regarda d'un œil distrait les dépouilles se faire emporter par deux gardes. Le fait que Takeshi ait des prédispositions aux arts obscurs comme ses parents n'était guère étonnant. Cela le rendait d'ailleurs plus précieux encore. Il était un nouvel allié contre Tsubasa, en plus de lui assurer la paix avec Ken Musashi.

Ce qui était étrange, en revanche, était la capacité à les utiliser inconsciemment sans les comprendre. Il caressa sa barbe, songeur, puis jeta un œil plissé sur Kaito. Pour quelqu'un qui avait été aux premières loges – de nature impulsive, qui plus est –, il faisait preuve d'un grand calme. Il devait soupçonner Takeshi d'être un complexe comme sa mère. Et c'était là une bonne chose. Son fils pouvait bien penser ce qu'il lui plaisait, tant qu'il ne posait pas de problème.

— Bien. Takeshi, à partir d'aujourd'hui, tu seras le protecteur de mon fils. De jour comme de nuit.

Les deux garçons se fixèrent, médusés. La nouvelle avait beau être réjouissante, la réaction du chef de clan n'en restait pas moins surprenante. Kaito ne s'en sentit que plus coupable. Aux yeux de son père, la complexité de Takeshi s'avérait donc sans équivoque. Tant de blessures auraient pu être épargnées s'il s'était montré plus sage...

Une fois seuls dans la chambre – officiellement la leur – Takeshi se planta devant la fenêtre, réfléchissant aux potentielles révélations de Ken Musashi à son sujet. Cet évènement avait ravivé le besoin dévorant de se découvrir. Et que dire de ces alléchantes promesses d'avenir ? Kaito posa une main sur son épaule.

— Tu devrais te reposer.

Takeshi opina tout en se blâmant en silence. Si Kaito avait idée de ce qui lui trottait en tête... Il aurait voulu pouvoir partager ses doutes, lui faire part de ces sensations nouvelles, mais il ne le connaissait que trop bien. Il refoula à nouveau son trouble et le rejoignit dans le lit.

— Qui aurait cru que je serais un jour devenu ton protecteur ? Sûrement pas toi, Kimura-sama !

Il se glissa sous la fine couverture avec un air réjoui.

— Depuis le temps que je te connais, je commence à me dire que la mort n'est plus qu'un jeu pour toi, marmonna le prince en s'allongeant, les bras croisés derrière la tête.

Takeshi se mordit la lèvre. Son ami n'avait jamais été si proche de la vérité...

— Et si c'était le cas ? bredouilla-t-il.

Kaito le fixa dans le blanc des yeux.

— Répète un peu ça, pour voir ?

Un instant de silence, puis Takeshi lui flanqua un coup de coude taquin.

— Ne sois pas si sérieux, voyons.

Le prince plissa un air mauvais puis lui tourna le dos dans un grognement.

— Si tu tiens à mourir, c'est moi et moi seul qui m'en chargerai.

Takeshi sourit, amusé. Sourire qui s'évanouit bien vite.

 

Une brume sombre et fantomatique voilait le ciel de la Cité des Invocateurs. La haine de Tsubasa Hatano privait la ville de la clarté matinale. Les habitants gardaient toujours une certaine méfiance envers les humeurs de leur chef de clan. Ses coups de sang prenaient parfois une tournure effroyable, et ce matin était un jour de grande vigilance.

Dans les rues, la foule guettait les cieux, attentive au moindre grondement sonore. L'écho d'un hurlement de rage retentit depuis la résidence, le glas sinistre que tous redoutaient. Les citoyens abandonnèrent leurs activités sur-le-champ pour se réfugier chez eux.

Takeda Hatano déglutit en s'approchant de la porte principale de la maison. Bien que fortifiés, les murs vrombissaient et des courants d'air glaciaux parvenaient à se faufiler sous les poutres. Il frissonna. Un vent de poussières noires d'une force inouïe crépitait contre les panneaux de bois et appuyait sur les fondations dans un sifflement strident. Le craquement d'un arbre fendu dans la cour le fit sursauter. Des fureurs telles que celles-ci avaient déjà causé des dommages considérables dans la ville. Lorsque les spectres ne s'agitaient pas aveuglément, abimant bon nombre de bâtisses sur leur passage, les puissantes tempêtes de cendres s'occupaient des ravages.

Il prit une profonde inspiration et se décida à ouvrir la porte. Une rafale le frappa de plein fouet. Une tornade pulvérulente tournoyait autour de son frère, alimentant par une spirale de haine la noirceur des cieux. Il hurla son nom jusqu'à ce que celui-ci s'aperçoive de sa présence. Tsubasa le fixa, les yeux injectés de sang.

— Viens-tu défendre la honte de notre famille ? feula-t-il.

— Non, mon frère, je viens te demander de ne pas dévaster notre ville et effrayer notre peuple !

— Les effrayer ? vociféra-t-il. Que savent-ils, eux, de la trahison que je subis ?

Une violente bourrasque repoussa l'aîné, ses pieds glissèrent sur le sol sablonneux. Il croisa les bras devant son visage afin de se protéger de la poussière. Son esprit tournait à plein régime. Il devait apaiser le courroux de Tsubasa avant que les toits ne finissent par s'arracher.

— Ne préfères-tu pas planifier une nouvelle vengeance contre Kazuhiro Kimura au lieu de détruire notre ville ?

Le regard noir du chef de clan se figea à nouveau sur lui. Quelques secondes passèrent dans le tumulte venteux, puis la tempête diminua en intensité. Les cendres s'évaporèrent dans l'air et la tornade se désagrégea en une longue spirale vers les cieux. La brume s'estompa et le ciel s'éclaircit. Tsubasa s'avança vers lui, un sourire inquiétant aux lèvres.

— Tu as raison, mon frère. Comme toujours, tu es de bon conseil. Et je sais déjà ce que je vais faire.

Malgré son soulagement, Takeda déglutit.

— A-ah oui ?

Tsubasa posa ses mains glacées sur ses épaules.

— Je vais aller moi-même rendre visite à mon très cher fils.

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NDA : O.K maintenant, vous pouvez dire que ça sent (très) mauvais...


Entre ombres et lumière T1: Le secret des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant