Chapitre 58

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Takeshi mit fin à sa longue balade nocturne, dans la nature. Durant sa jeunesse, il n'avait jamais pu visiter les environs de sa propre cité ni les beaux lieux arborés qui avaient toujours été à sa portée. À l'avenir, il aurait le temps de jouir d'une totale liberté. Mais avait-il réellement envie de rester sur ces terres ?

Il prit le chemin vers la ville pour passer sa seconde nuit au lac. Coucher sous le même toit que son géniteur était bien entendu proscrit. Même si ses protecteurs lui collaient maintenant à la peau, il se méfiait de cet homme comme de la peste. Ses pouvoirs étaient nouveaux et qui sait ce qu'il pourrait passer par la tête de ce fou ? Il arriva devant les portes en acier de la ville, anormalement closes. Il pouffa, le message était clair. L'égo de son père devait avoir souffert.

Il leva les yeux vers les gardes campés sur les remparts – qui l'observaient d'une façon qui se voulait discrète.

— S'il vous plaît, ouvrez la porte.

— N-nous ne pouvons pas... bafouilla l'un deux. Ordre du chef de clan.

Takeshi se pinça l'arête du nez, las de ces enfantillages.

— Quel que soit le moyen, je rentrerai, soupira-t-il. À vous de décider si ce sera par la force ou non.

La petite troupe hésita ; réflexion trop lente à son goût. Les entités réagirent à son impatience. Des volutes de spectres furieux s'extirpèrent de l'habit noir en quantité et s'infiltrèrent dans les parois d'acier. Le métal grinça, se déforma et se fissura aussi facilement le fer chauffé à blanc. Littéralement broyés, les pans finirent par tomber en lambeaux et le reste des portes se fracassa contre les remparts, projetant des morceaux dans la cour. Les hommes éberlués regardèrent leur prince franchir l'enceinte, réimprégné peu à peu par les âmes hostiles.

— La prochaine fois, ouvrez-moi, cela vous évitera du travail, dit-il d'un air ennuyé.

Sur la rive du lac, il retrouva la même petite cabane de pêcheur que la veille. Il sauta sur une caisse, atterrit sur la toison de paille et s'étala de tout son long. La tranquillité nocturne aidant, et loin de toute agression humaine, il s'autorisa à se détendre. Les longues épines sur le col s'estompèrent jusqu'à disparaître.

Les mains jointes sur le ventre, il admira la pleine lune et se revit au bord du lac miroir à celui-ci, à la Cité des Lumières. À chaque fois qu'il fermait les yeux, c'est le visage de son prince qui apparaissait. Son cœur se serra. Kaito lui manquait atrocement et continuerait à lui manquer, jour après jour. Il posa son fourreau doré à côté de lui et le contempla, la gorge nouée. Ce katana était l'unique souvenir qu'il lui resterait de la plus belle période de sa vie. Le seul, aussi, de son unique amour. Où irait-il, après l'avoir perdu ? Il avait beau enfin respirer, sa ville natale serait toujours liée à son passé, il y suffoquerait toujours.

Dissimulant sa faiblesse en ces lieux maudits, il se recroquevilla sur le côté et enfouit son visage au creux de son coude, comme si la nature elle-même pouvait le tourner en dérision. Les spectres créèrent au-dessus de son corps un bouclier d'ombres protecteur et le col de l'habit remonta pour l'envelopper dans un cocon réconfortant.

 

Des claquements de sabots. Takeshi sursauta, les gardiens s'agitèrent. Huit cavaliers trottaient en direction de la résidence. Il bondit du toit pour les suivre discrètement, caché derrière un rideau de spectres. L'homme à la tête du cortège descendit de sa monture et pénétra entre les portes pour s'entretenir avec Tsubasa Hatano. Takeshi ouvrit un regard ahuri. Kazuhiro Kimura ? Que faisait-il ici, aux aurores ?

Il sauta sur le muret, aussi agile et silencieux qu'un chat, et observa la scène.

— Je pensais qu'après cette guerre, tu cesserais de t'en prendre à ma famille ! Quel genre de monstre es-tu devenu ? éructa-t-il.

Entre ombres et lumière T1: Le secret des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant