Entre ombres et lumière T1: Le secret des Dieux

Chapitre 27

La ville se reconstruisait lentement, les choses reprenaient leur cours. La paix s'était instaurée sans que le chef de clan ne se prononçât sur les raisons. Un nouveau secret parmi tant d'autres aux yeux des habitants, habitués aux sujets défendus.

De son côté, Takeshi jouissait d'une parfaite autonomie et arpentait les environs à sa guise. Kazuhiro l'avait affranchi du mode de vie strict réservé aux guerriers non dotés de l'armée – vulgairement nommés les « inférieurs » –, son libre arbitre était curieusement devenu la priorité. Il n'y avait aucun doute quant au rôle de Yuna dans le changement de comportement de son époux, mais sa gratitude envers lui semblait sincère, il désirait réellement le garder auprès d'eux.

C'est donc de lui-même que Kazuhiro avait offert à Takeshi une place de choix au sein du clan ; en cette période où il isolait son cœur, on le valorisait enfin – une belle ironie. Les motivations du patriarche étaient peut-être intéressées mais il y trouvait lui aussi son compte : une sécurité indéniable et un confort de vie qu'il n'avait jamais eu.

Mais son nouveau statut affectait également son image. Quand les non dotés portaient un hakama gris bouffant aux cuisses, resserré dans leurs bottes marron, de lourdes cuirasses safranées et une armure aux couleurs or, Takeshi, lui, arborait une tenue légère et confortable, à l'instar des nobles représentants de la déesse : un magnifique pantalon-robe lilas, digne de celui – majestueux – du prince héritier, et un haut à la clarté immaculée sur lequel tombait un long kimono de soie blanche aux larges manches. Une broderie au dégradé de mauve dessinait dans son dos un immense phénix orné d'arabesques gracieuses. Une volupté que nombre d'hommes lorgnaient d'un œil mauvais.

En effet, cette différence exhibée de la part d'un civil – fraîchement enrôlé, qui plus est – en faisait rager plus d'un. Si les privilèges des intouchables Sang Purs étaient naturellement ancrés dans la société, ces faveurs-là étaient loin de l'être. Mais après tout, Takeshi, lui, avait résisté au feu. Officieusement, il n'était plus un non doté, et il n'avait aucune envie de renoncer à son identité pour un petit groupe d'envieux (envieux qui eussent d'ailleurs fui les flammes invincibles du redoutable Seigneur pour sauver leur propre peau).

Il n'aspirait plus qu'à se ressourcer à travers la solitude, se faire des amis parmi ces hommes n'était pas dans ces projets ; ces mêmes-hommes, d'ailleurs, qui auraient été nombreux à le livrer sans scrupules à Musashi.

De plus, il ne voyait dans ces entraînements qu'un exutoire sur son temps libre. Après s'être battu avec le prince héritier et avoir tenu tête à l'un des plus puissants dirigeants du pays, il ne pouvait les prendre au sérieux. Et les ressentiments nourrissaient la hargne en combat, le jeu n'en était que plus excitant...

Ses relations au camp de la ville avaient beau être instables, celles avec les guerriers dotés, en revanche, étaient au beau fixe. Umi n'étant plus une gêne, leurs rapports s'étaient grandement améliorés. La jeune générale l'encourageait même à assister à leurs séances d'art énergétique journalières, dans la grande cour de la résidence. C'était bien là l'unique raison pour laquelle Takeshi aimait procrastiner à cet endroit, près du prince.

Il s'installa au pied d'un arbre, une brochette de dango multicolores à la main, pour se délecter du gracieux ballet, destiné à réorganiser les énergies intérieures. La lenteur des déplacements des guerriers, d'une coordination parfaite, était hypnotisante. Leurs corps souples émanaient d'une douce lueur lénitive qui plongeait toujours Takeshi dans une délicieuse torpeur. Comme bien souvent, sa brochette manqua de lui glisser des doigts.

Lorsqu'il entendit des voix s'élever, signe que les pratiquants redescendaient en ville, il se redressa et attaqua une nouvelle bouchée. Nombre d'entre eux gratifièrent leur admirateur quotidien d'un geste chaleureux. Takeshi leur répondit par un grand sourire, les joues gonflées par la pâte de riz.