Arrivés près de la cabane de pêcheur, Kaito fila derrière les planches récupérer deux katanas de bois. Il en tendit un à Takeshi et fit glisser le sien entre ses doigts habiles.
― Allez, attaque-moi.
― Quoi ? Mais je ne sais pas me battre, Kaito-kun, répondit Takeshi en tentant de lui rendre l'arme.
― S'il te plaît, pour me faire plaisir...
Pour cette unique raison, Takeshi assentit et imita les positions des guerriers qu'il avait vus se battre, tantôt en se baladant devant la caserne tantôt dans les différents lieux qui accueillaient les combats. Il se rua vers son ami en brandissant le bois et hurlant comme un forcené, mais fendit l'air avec la lenteur d'un éléphant. Kaito l'esquiva en riant.
― Ah ! Tu te moques de moi, je ne veux plus jouer !
― Mais non, mais non... pardon, excuse-moi.
Kaito réfléchit à un moyen de l'aider à se concentrer. « Aiguiser ses sens », disaient toujours les maîtres d'armes. Il se souvint de ses tout premiers cours, ceux où il était aussi maladroit qu'un bambin dans ses premiers pas, et eut alors une idée. Il dénoua sa ceinture brodée d'or et l'attacha autour de la tête de son ami pour lui bander les yeux.
― Q-qu'est-ce que tu fais ?
― Tu vas rester immobile et tenter de deviner où je me trouve. Chaque fois que tu imagineras où je suis, tu devras trancher l'air le plus vite possible. N'essaie pas de taper fort, essaie d'être vif et précis, ajouta Kaito en répétant mot pour mot ce qu'il avait appris par cœur.
Takeshi acquiesça sans grand espoir et obéit. Ses bras étaient frêles, son corps lent et ses sens ne lui avaient jamais servi qu'à détecter l'odeur de ses gâteaux favoris. Que pouvait bien imaginer Kaito en lui ôtant la vue ? Il n'en serait que plus gauche...
Dans un silence que seule mère Nature occupait, il inspira et expira plusieurs fois profondément, katana en main. Son esprit s'apaisa tout en s'éveillant différemment et les sens qu'il lui restait s'affutèrent. Le monde se révélait peu à peu sans nul besoin de vision. Le souffle discret du vent bruissant dans les feuillages de l'érable, le doux clapotis de l'eau s'échouant sur les galets, de légers effluves d'algues voguant jusqu'à ses narines... Puis un craquement sur la droite.
Il se raidit dans l'instant et abattit le sabre factice dans l'herbe. Malgré un premier échec, il se surprit à se retrouver en position stable près du sol, les deux pieds fermement ancrés dans la terre. Une posture souple et forte, à l'instar des grands guerriers qu'il avait maintes fois vu se battre. Leurs gestes étaient imprimés dans son esprit.
Il se releva lentement, s'immobilisa à nouveau – les membres détendus – et prit de longues et silencieuses inspirations. Une fine bourrasque aplatit l'herbe devant lui et fila entre ses manches pour finir en caresse sur ses joues. Mais un autre genre de souffle, plus chaud, effleurait son cou...
Il se retourna d'un mouvement vif et balaya l'espace derrière lui à l'horizontale. À la fin du geste, il put sentir un léger impact. La satisfaction étira ses lèvres. Il se redressa à nouveau et recommença l'exercice durant de longues minutes, encore et encore, cumulant les petites victoires jusqu'à réussir à frapper son adversaire invisible dans les côtes. Un grognement se fit entendre. Joie ! Il était vainqueur ! Takeshi exulta.
Un immense sourire aux lèvres, il retira le bandeau à la hâte et brandit l'arme avec fierté.
― Kaito-kun ! J'ai gagné ! J'ai...
Toute gaieté s'envola dès lors qu'il découvrit Tsubasa devant lui. C'était donc son père qu'il venait de frapper ? Il lâcha le bout de bois et recula, puis jeta un œil inquiet à Kaito, qui se trouvait à quelques mètres d'eux en compagnie de ses parents. Pourquoi son ami l'avait-il abandonné pour se placer en simple spectateur ? Depuis combien de temps étaient-ils tous là, à l'observer ?
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Entre ombres et lumière T1: Le secret des Dieux
FantasíaAprès avoir été banni de son clan dans des circonstances tragiques, le prince Takeshi perd la mémoire lors d'une traque. Kaito, prince héritier d'un clan rival, le sauve cette nuit-là d'un sort funeste. Les hostilités se profilent entre les deux gar...