Entre ombres et lumière T1: Le secret des Dieux

Chapitre 31

Accoudé sur la table du patio, Takeshi se protégeait les yeux des rayons du soleil matinal. Il porta mollement son bol de thé chaud aux lèvres. Les insomnies se cumulaient et devenaient pesantes. Cette nuit encore, les cauchemars avaient été effroyables. Et cette nuit encore, il avait tenté de trouver son ange gardien près de lui, du bout des doigts. La réalité l'affligeait toujours lorsqu'il ouvrait les yeux sur le vide. Il grelotta et plaqua les pans de son kimono blanc sur sa poitrine. Malgré la douceur printanière, la fatigue était imprégnée dans chaque fibre de son corps.

Kaito apparut torse nu sur son seuil personnel de terrasse, sa longue chevelure sauvage coulant sur le dragon de son épaule. Il fut surpris de trouver Takeshi attablé dans le patio ; lui qui prenait ses déjeuners en ville depuis des semaines pour s'assurer de l'éviter... En s'approchant, il remarqua sa mine somnolente et sa joue écrasée dans la paume. Il s'installa en silence face à lui et le contempla, peiné.

Chaque fois qu'il l'entendait cauchemarder la nuit, il devait se faire violence pour ne pas se lever. Leurs chambres étaient attenantes et son sommeil – le plus léger de la famille – le rendait poreux au moindre bruit. Alors qu'il avalait ses premières gorgées, la tête de Takeshi glissa lentement vers la table. En temps opportun, la situation eut été cocasse, mais, en ce moment, elle était plus navrante qu'autre chose. Avant que son visage ne rencontrât le thé, Kaito frappa le plateau de bois contre la roche.

Takeshi se redressa en sursaut. Il battit des cils et afficha un air hébété. Quand Kaito était-il arrivé ? Ses paupières retombèrent et il demeura ainsi prostré derrière ses longues mèches ébouriffées, des cernes jusqu'au creux des joues.

Outre la peur de se faire rejeter, Kaito ne put réfréner l'irrépressible besoin de l'aider. Il déposa son bol, porta sa main à son sternum et en extirpa une petite sphère bleutée, parcourue d'ondées hypnotiques. Takeshi cligna plusieurs fois des yeux avant de réaliser que cette offrande lui était destinée. La main de Kaito avança doucement vers son torse.

— Takeshi, si tu ne le désires pas, dis-le-moi.

Trop fatigué pour réfléchir, Takeshi laissa l'énergie l'approcher. Lorsque la bulle azurée pénétra sa poitrine, des sensations chaudes et apaisantes inondèrent son corps. Il ferma les yeux, submergé par un bien-être indescriptible. La caresse bienfaitrice s'immisça dans ses cellules endormies ; tout son organisme s'éveilla, gagné par un tonus incroyable. Un courant d'air vivifiant parcourait ses veines. Ses membres se contractèrent, stimulés par une vigueur surprenante, comme puisée d'un long sommeil réparateur.

Il rouvrit les yeux sur Kaito et découvrit les traits tirés de son visage, signe d'une soudaine et curieuse fatigue. Se pouvait-il...

— Tu...

— Tais-toi.

Takeshi crut discerner l'esquisse d'un rictus sur ses lèvres avant de le voir replonger dans son bol. Il sourit, touché par son geste. À quel point cet idiot lui manquait-t-il... Au-delà de l'amour, Kaito était son roc, l'être qui avait bouleversé sa vie. Quoique fussent ses erreurs, il avait trouvé en lui la moitié de son âme. Le Yang tempétueux de son Yin évanescent. Il baissa la tête, lourd de remords. Face à son chagrin, Kaito ne sut contenir ses mots.

— Takeshi, si tu savais comme je m'en veux...

— Kaito-sama, c'est moi qui te dois des excuses. J'ai dit une chose injuste dans le simple but de te faire du mal. Une chose... fausse.

Son regard émeraude se noya dans le sien.

— Il y avait bien un nous...

Kaito resta bouche bée. Son cœur se réchauffa, malgré la culpabilité. La question qui l'avait tant obsédé finit par lui brûler la langue...