Chapitre 40

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L'été avait tiré sa révérence depuis des mois, l'année s'était terminée sur le pâle silence de la mort. La blanc manteau de l'hiver recouvrait le pays, le temps des réjouissances n'était plus qu'un souvenir terne. Mais la mélancolie ambiante convenait à Kaito. Il ne pouvait s'empêcher de trouver un certain réconfort dans le calme que la nature froide imposait à tous.

Aussi irrationnelles fussent devenues ses pensées, ne plus entendre les glapissements des enfants ainsi que la maudite mélodie des oiseaux guillerets était apaisant. Les beaux jours, triste souvenir de son rayon de soleil, s'étaient effacés à son grand soulagement. La rancœur contre le monde entier écartée, la peine avait fini par geler ses émotions. Seul subsistait le poids du deuil.

Durant les jours de pluie comme aujourd'hui, il observait, placide, les gouttes perler le long des toits et des piliers de bois des terrasses. Les larmes des cieux étaient celles qu'il ne pouvait plus à verser. Les journées défilaient et se ressemblaient, figées dans le temps.

L'affliction s'était abattue sur la maison, le mutisme était devenu sacré. Kaito ne se montrait plus, cloîtré dans son mouroir d'amour, hermétique à toute interaction. Seule Kazu parvenait à le nourrir à la béquée, une fois par jour.

Mais le temps s'écoulait et il s'affaiblissait peu à peu. Son corps n'était plus qu'une enveloppe fragile dans laquelle gisait une âme en perdition. Le misérable espoir de voir Takeshi s'éveiller le hantait toutes les nuits. Un cauchemar où son esprit impitoyable lui livrait la magie tant désirée pour mieux l'assassiner à chaque réveil à coup de réalité. Mais il ne pouvait l'abandonner. Pas alors que son cœur battait encore son triste refrain.

Il acceptait donc de s'alimenter assez pour pouvoir maintenir son corps en puisant dans le peu d'énergie qu'il lui restait. Mais depuis quelques jours, chaque cocon nourricier perdait un peu plus de sa chaleur ; l'aura d'or n'était plus qu'un soleil ennuagé.

Il était vain de s'obstiner, au fond, il le savait. Takeshi avait disparu. Ses sanglots déchirés par les remords, ses hurlements murmurés et ses mots criants d'amour s'adressaient au vide. Le silence se murait inlassablement sur les lèvres de Takeshi et son sourire candide s'effaçait peu à peu de sa mémoire. Le filet lumineux qui reliait leurs deux corps sonnerait bientôt le glas inévitable et la lune cueillerait l'ultime larmoiement d'un je t'aime perdu.


Comme tous les après-midis, Kazu apporta à son frère un thé et une collation auxquels il ne toucherait pas, malgré ses suppliques. Cette visite journalière était malgré tout le seul contact qu'il leur restait.

Elle s'installa à ses côtés, au pied de l'épais futon. Si elle le trouvait assis correctement il y avait encore quelques mois, désormais, ses forces ne lui permettaient plus de se tenir droit. Le torse négligemment dénudé, Kaito reposait à moitié sur le lit, enroulé autour du bras gauche de Takeshi. Ses doigts étaient entrelacés aux siens et son nez enfoui dans ses cheveux, en quête du souvenir éphémère de son odeur.

Lorsqu'elle vit le mince halo rosé qui scintillait entre leurs paumes, son cœur se serra. Comment avait-elle pu ignorer les sentiments de son frère si longtemps ? Ses propres désirs l'avaient aveuglée. Si elle n'avait pas tenté d'accaparer Takeshi, peut-être Kaito souffrirait-il un peu moins...

Elle posa une main sur son épaule.

- Grand frère, je suis navrée de ne pas avoir compris plus tôt, murmura-t-elle, accablée par la culpabilité. Sache que je m'en veux chaque jour qui passe...

Kaito tourna légèrement la tête sur le bras de Takeshi sans pour autant la regarder. Elle en profita pour écarter le rideau de cheveux qui voilait son regard blafard et examina son visage hâve ; des cernes profonds creusaient ses joues. Elle hésita un long moment avant de parler.

Entre ombres et lumière T1: Le secret des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant