Chapitre 44

485 84 104
                                    

La neige fondait lentement dans les rues que la clarté matinale ne réchauffait pas encore. Les marchands de la grande avenue luttaient contre le froid pour attirer la clientèle, entre deux souffles embués.

Depuis la descente du domaine, Kaito ressassait mentalement ses interrogations tandis que, de son côté, Takeshi inspirait l'air frais à pleins poumons, savourant sa renaissance. Il effleura la tête de phénix de sa broche en souriant. La vie n'était que plus belle renée des cendres. Il remonta le col blanc de son long manteau fourré sur son cou et croisa les bras sur son torse en frissonnant ; la morsure vivifiante du froid faisait rosir ses joues. Il tendit une main vers le ciel gorgé de neige. Un flocon s'échoua sur sa paume fraîche.

- Regarde, Kaito, il neige !

Le prince leva à peine un sourcil. Takeshi s'arrêta au milieu de la grande allée et prit ses mains entre les siennes.

- Je t'en prie, Kaito-kun, profite de ce moment avec moi. Je suis là, devant toi...

Kaito se noya dans ces grands yeux verts. Le trouble s'évapora dans l'instant. La vie qu'il avait tant rêvée à ses côtés était désormais bien réelle, comment pouvait-il encore s'égarer dans ses pensées ? Il glissa une main dans sa nuque.

- Tu as raison, excuse-moi.

Lorsqu'il approcha son visage du sien, Takeshi eut un léger mouvement de recul. Il balaya l'avenue peuplée d'un regard anxieux.

- Kaito-kun, je ne suis ni un Sang Pur ni un natif de ce clan, en plus d'être... un homme. Que vont penser les citoyens en voyant leur futur chef de clan avec quelqu'un comme moi ?

- Je me fiche de ce qu'ils pensent.

En plein cœur de la foule, Kaito attira fermement Takeshi contre lui et l'embrassa à pleine bouche. Quelques étonnés les dévisagèrent, sans aucun ressentiment, et des petits gloussements féminins attendris s'élevèrent. L'instant d'amour perdura du bout des lèvres. Takeshi posa son front contre le sien et ferma les yeux, les bras enroulés autour de son cou.

- Alors, c'est ça le bonheur... sourit-il comme un bienheureux.

Ils reprirent leur chemin main dans la main, la tête de Takeshi reposant sur l'épaule du prince.

- Attends-moi ici, déclara Kaito en apercevant son armurier, je reviens.

Planté au milieu de l'allée, Takeshi laissa son regard dériver dans la foule. Un homme de très forte corpulence, bien plus grand que la moyenne, se démarqua de la masse. La singulière couleur bleue qu'il portait attira son attention. Il le suivit, curieux, mais l'individu disparut à l'angle d'un petit carrefour.

Takeshi s'y engouffra à son tour et tomba sur l'inconnu, courbé dos à lui. Une chevelure fileuse, paraissant négligée depuis des siècles, pendait entre ses omoplates charpentées jusqu'à un étrange pagne en peau de tigre. Lorsqu'il constata que le bleu n'était autre que la couleur de sa peau rugueuse, il fronça les sourcils, troublé. En sentant sa présence, l'être se redressa, révélant une taille inhumaine, et se retourna vers lui. Le sang de Takeshi se glaça : d'immenses cornes blanches sortaient du crâne de la créature, de grosses billes jaunâtres, sans iris ni pupilles, s'exorbitaient du faciès anguleux, et un sourire figé, d'une largeur inquiétante, dévoilait quatre longues dents curves.

Le jeune homme fit quelques pas en arrière, paralysé par l'effroi. Cette chose, il la reconnaissait : elle était l'un des démons qui peuplaient l'enfer. L'un des tortionnaires qui l'avaient supplicié. Il vacilla contre un mur, les yeux rivés sur le monstre. Ce dernier ne fit pourtant rien de plus que le fixer, presque aussi surpris que lui ; un humain le voyait dans le monde des vivants, pour la première fois. Et pas n'importe quel humain : celui qui venait de s'échapper des limbes.

Entre ombres et lumière T1: Le secret des DieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant