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Point de vue: Ava

Je sens cette odeur. Et une nausée me prend. Je la refoule. Ce n'est pas vraiment le moment de vomir comme une femme enceinte. J'essaie de me redresse, la tête lourde. Il fait presque totalement noir. Il y a juste une grille au-dessus de moi qui donne sur l'extérieur.
Je rêve ou je suis dans un fossé!? La panique commence à me prendre. On peut faire tout et n'importe quoi avec un tel fossé. Mettre de l'essence et brûler les gens. Remplir petit à petit de boue et de terre pour les enterrer vivants. Les laisser se faire dévorer par les rats. Jeter ses serpents. Et...
Je sursaute lorsque je sens quelque chose me frapper la cuisse. Le coup se voulait fort, mais il n'en était rien. Je baisse les yeux. Amina! Je m'approche d'elle. Elle se tient le buste. Et malgré tout, je remarque son sang. Elle a prit cette balle pour moi.
Il fait nuit maintenant, donc nous sommes ici depuis des heures. Les derniers souvenirs que j'ai sont le visage de Marco, ma crise de panique dans le véhicule, et le coup de cet homme sur mon crâne. J'ai saigné aussi je crois.
Mais le plus important c'est Amina. Elle se redresse, son dos appuyant sur le "mur" du fossé. Ce trou doit faire à peu près deux mètres de profondeur. Le visage de la blonde est abîmé, elle a des blessures et des bleus. Elle n'avait pas ça quand nous étions dans le camion.
Je m'occupe de sa plaie aux côtes. Une balle. Et je crois... qu'elle est encore à l'intérieur! Elle ne semble pas faire d'hémorragie, c'est déjà un bon début, non? Je ne sais pas! Je ne m'y connais pas! Je lève les yeux vers Amina qui fronce les sourcils. Elle supporte bien la douleur. Je lis sur ses lèvres.

"Enlèves la balle."

Quoi? Mais avec quoi? Elle va finir avec une infection sur je vais m'amuser à chercher une balle dans son ventre! Et elle va mourir! Je lui fais "non" de la tête. C'est une trop grande responsabilité. Je ne peux pas faire ça!

"Ava. La balle. Sinon je vais mal finir."

Non, si je te touche, tu vas mourir Amina! Je ne peux pas faire ça! Je fais de nouveau "non" de la tête. Mes yeux se brouillent. C'est de ma faute. Je le sais. Elle n'avait pas à me protéger. Ni à prendre cette balle pour moi. Elle me gifle.

"Retires cette balle."

Mais... Ses yeux me supplient de le faire. Je prends une grande inspiration. Elle sait mieux que moi après tout. Je dégage sa plaie. Elle se redresse le plus possible. Je regarde autour de moi. Je vais devoir y aller avec mes doigts sales...
Et j'y vais. Je la sens se rendre alors que du bout des doigts je cherche cette balle dans cette énorme plaie. Je retiens un vomissement. Parce que je sens sa chair rouler sous mes doigts. Je la regarde. Elle a fermé les yeux et se mord si fort la lèvre qu'elle saigne.
Perdón, Amina... Je sens enfin quelque chose de dur, et qui ressemble fortement à une balle. Je l'attrape et l'extirpe. Je crois qu'elle hurle de douleur. Mais je continue. Et je regarde ce bout de métal ensanglanté. Je le lance à l'autre bout de ce fossé. Et mes yeux tombent sur cette chose.
Il... il y a... un cadavre à un mètre de nous. Je me laisse tomber de l'autre côté, loin de cette chose. Désolée Amina, mais c'est trop pour moi! Elle me dévisage et sourit. Ouais, ris de moi, je m'en fiche. C'est un cadavre!

"Merci."

Je la regarde. Et j'hoche la tête. Elle aurait fait la même chose pour moi. Et puis, ce n'est pas comme si j'avais le choix! Je fixe la blonde. Jusqu'à ce qu'elle sorte un couteau de son pantalon en cuir. Elle n'aurait pas pu me le donner avant?! Ça m'aurait aidé dans ma quête à la balle!
Elle me le donne, le posant dans la paume de ma main. Quoi? Elle est sérieuse? Je fais quoi avec ça moi? Je fronce les sourcils. Alors Amina imite quelqu'un qui plante... un couteau dans une autre personne.
Donc... si je comprends bien... elle me donne cette arme pour que je m'en serve en cas de besoin. C'est ça? Je ne pense pas être capable de l'utiliser! J'ai déjà du mal à tuer une araignée! Mais je ne dis rien et garde l'arme blanche. On verra bien.

💠💠
💠

Un coup dans ma mâchoire me réveille en sursaut. La douleur se propage. La lumière du jour me brûle quelques secondes les pupilles. Mais je vois. Amina a ma droite, somnolente, se prenant des coups dans les jambes. Je lève les yeux. Un homme que je ne connais pas. Il essaie de voir si elle dort.
Je n'ai le temps de rien que je me fais tirer par les cheveux en avant. Mon corps tombe lamentablement. Mais je ne regarde qu'Amina. Et quand je vois l'homme sortir un couteau, je me précipite sur elle. Non! Elle est faible et il va en profiter pour s'en prendre à elle! Non!
Les deux hommes qui sont descendus dans le fossé me regardent regardent souriant. Et je comprends que mon malheur ne fait que commencer. Sans m'en rendre compte, mes yeux se posent sur le cadavre. Enfin, ce qu'il en reste. Un buste et deux jambes rongés par les rats et les insectes. Où est la tête? Pourquoi ce corps mort n'a-t-il pas de tête?
On me tire de nouveau les cheveux. Ce qui me redresse. Je tiens à peine sur mes jambes. Le couteau du second homme se pose délicatement sur mon bras nu. Puis il s'y plante pour marquer un long sillon. Je grogne de douleur. Ça vibre dans ma gorge. Fort. Et ça me brûle.
Tout mon corps me brûle. Je cherche à me débattre. Mais je ne suis pas de taille face à ces deux mastodontes. Les coups suivants sont tout aussi violents. L'un me tient, l'autre prend mon buste pour un sac de frappe. J'ai l'impression que mon corps entier va céder.
Les coups de poing dans la tête m'assomment, je saigne de l'arcade. Abondamment. Parce que je ne vois plus rien d'un œil. Je suis obligée de le fermer. Mon sang se mélange à mes larmes. Je pleure comme une enfant. Parce que j'ai mal. Parce que j'ai peur.
Mais ce qui me rassure, c'est qu'ils semblent avoir oubliés Amina. Je comprends aussi comment elle a eu ces contusions. On l'a frappé. Comme on me frappe en ce moment même. Je suffoque dans mon propre sang. J'ai ce goût métallique et chaud dans la bouche. Ça coagule et ça m'écœure.
Je me sens tomber. Alors j'ouvre les yeux. Il y a un homme. Celui qui est venu chez Marco et son frère. Celui qui a tiré sur moi, enfin sur Amina puisqu'elle s'est mise devant moi. Je peine à me redresser. Mais je le fais. Même si je pleure. Même si j'ai mal. Même si j'ai peur. Même si je dois encore souffrir. Je dois rester le centre de l'attention.
Et ça marche. Puisqu'il s'avance vers moi. Il sourit. C'est moi qu'il veut. Moi et moi seule. Et je ne sais pas si cette idée me fait peur ou me rassure. Il s'arrête devant moi. Et il me met un coup de pied bien placé. Ma tête part en arrière et s'écrase sur... OH MON DIEU! SUR CE CADAVRE! Je me dégage de cette puanteur rapidement. Mais je me prends un nouveau coup.
Cette fois, c'est mon visage qui touche ce buste en décomposition. Et je vomis. Je vomis tout ce que mon estomac et mes boyaux contiennent. MON VISAGE SUR UN CORPS EN DÉCOMPOSITION! Je m'essuie la bouche et me redresse.
Une poigne puissante s'empare de mes cheveux. Et on ne tire en arrière. Cet homme me maintient, je suis soumise à lui, et il le sait. Il sourit tel un pervers. Il est bel et bien ici pour moi. Alors s'il me veut du mal, c'est à cause de Sarah. Je la maudis à ce moment précis pour le mal qu'elle me cause.
Par sa faute, je plonge jour après jour dans un monde obscure et terrifiant. Jour après jour, je sais que je vais connaître énormément de souffrances. Et j'en tremble de peur. J'ai souffert des années à l'intérieur. Et maintenant, je souffre de l'extérieur. Mes peines s'accumulent. Et s'en est trop.
Je me saisis du couteau qu'Amina m'a donné. Je me sors de mon soutien-gorge. Et sans attendre, je le plante dans le bras de cet homme. Il lâche sa prise sur ma chevelure. Je tombe au sol. Il ne me faut que quelques secondes pour me redresser, me remettre droite sur mes jambes. Je brandis le couteau.
Blesser ou être blessé. Tuer ou être tué. C'est la loi du plus fort. La loi de la nature. La loi sauvage. Me battre pour ma vie et celle d'Amina. Ou mourir dans la douleur. Et je ne veux pas finir comme ce coprs qui est là pour nous montrer ce qui nous attend! NON!
L'homme fait signe à un des deux mastodontes de m'attaquer. Alors, je ferme les yeux quand mon couteau se plante dans son ventre. Il me pousse. Je tombe sur mes fesses. J'ouvre les yeux. Il saigne. Son ventre est une fontaine à sang. L'autre homme s'empresse de maintenir l'hémorragie.
Mon bourreau, celui qui est venu jusqu'à Pereira, sort une arme de sa ceinture. Je me fige. Je n'avais pas réfléchi à cette idée. Il la braque sur moi. Et il tire. Comment je le sais? Au mouvement de son bras. Et à la douleur aiguë qui me cisaille la cuisse. Je baisse les yeux. Ça m'a effleuré mais je saigne.
En un claquement de doigt, il me prend mon couteau, et il part, suivant les deux hommes. Ils remontent l'échelle. Puis il la retire. La grille au-dessus de nous se ferme. Je respire enfin.
Je rampe jusqu'à Amina, les larmes debordants mon visage. Devant elle, j'essaie de la réveiller. Elle a les yeux entrouverts. Elle a forcément du voir ce qui s'est passé. Je lui tapote l'avant-bras. Elle se redresse. Son regard est triste.
Ouais, elle a vu. Mais elle est trop faible pour agir. Elle peine à m'offrir un sourire. Ses lèvres bougent. Et mes pleurs s'intensifient.

"Perdóname."

La Sourde et la BruteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant