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Point de vue: Ava

Après le départ de Marco et Alejandro, je sens tous les regards se poser sur moi. J'essuie rageusement mes larmes. Je ne dois pas pleurer pour ce connard. Il ne prend pas en compte mes sentiments, et j'en ai marre!
Pourquoi tu ne te confies jamais à moi, Pedro? Pourquoi me caches-tu tant de choses? Qu'est-ce qu'il te faut de plus? Ou bien alors tu t'es joué de moi. Et moi j'ai cru en tes belles paroles. Je ne sais plus ce que je dois penser.
Et puis, il est parti. Avec cet air tellement furieux. Pourquoi serait-il énervé? C'est moi qui doit être énervée! C'est moi qui suis prise pour une conne, pas lui! C'est moi qui lui ai dit je t'aime et qui attend des sentiments qui semblent inexistants de sa part.
Je sèche rapidement les nouvelles larmes qui coulent sur mes joues. Je suis épuisée de tout ça. Je suis épuisée de toujours souffrir. Évidemment que ça me fait mal de ne pas être aimé par celui que j'aime.
Et, qui sait, il ne m'a peut-être pas tué au début pour m'avoir dans sa poche. Il a peut-être tout fait pour m'attirer jusque dans son lit. Pour avoir de moi ce que Tony voulait. Après tout ce n'est pas comme ça que ça marche dans ce monde? Les femmes réduites à la prostitution.
Je ne sais pas si Marco est capable de ça. Il semblerait que non. Mais connaît-on réellement un mafieu? Non. J'essuie mes joues. Mes yeux se posent sur Amina qui me sourit. Mais ça ne sert à rien.
Je sens une main sur mon épaule. Je me tourne vers Anthony. Je ne saurais décrire ce que son visage retranscrit. Il regarde Amina. Puis il me tire pour que nous quittions tous les deux la salle d'entraînement. Il fait quoi là?
Je me laisse cependant faire. Parce que je suis dépitée. Nous croisons dans la grande salle du rez-de-chaussée Pedro. Il me regarde sans rien dire. Mais je lis dans son regard ce que je redoute tant. Il m'en veut.
Il m'en veut parce qu'il prendra toujours la défense de son frère. Ce que je peux comprendre. C'est normal. C'est son frère, ils sont fait du même sang et de la même chair. Il se mettra toujours du côté de Marco, même si celui-ci a tort.
Anthony nous fait monter à l'étage. Je ne dis rien. Il m'emmène à ma chambre. Peut-être qu'il pense que j'ai besoin de repos. Ce qui n'est pas faux. Je préfère dormir que d'affronter Marco, ses mensonges et des yeux noirs.
Il ouvre la porte, nous entrons, il ferme derrière lui. Il me lâche enfin. Je le fixe. Et qu'est-ce qu'on fait maintenant? On va jouer à un jeu de société ou on va se faire les ongles? Ça commence à m'énerver.
Il me désigne mon lit, puis il va s'y installer. Je lève les yeux au ciel, mais je le rejoins tout de même. Je m'installe bien face à lui. Je le sens étrangement tendu soudain. Quoi?
Il me fait peur, il m'angoisse. Je ne comprends pas. Je crois qu'il ressent mon trouble car il pose sa main sur la mienne et il me sourit. Anthony Rodriguez sourit. Amina a-t-elle déjà vu ça? Parce que c'est incroyable. Ce jour est à graver sur une pierre blanche!

"Je dois te parler A-V-A. C'est important. Il y a des choses que tu dois comprendre et que tu ne sembles pas avoir comprises."

"Je ne comprends pas tout parce que vous n'expliquez rien dans ce gang."

"C'est plus profond que des armes et de la drogue."

Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'il me raconte? Si je n'ai pas compris certaines choses, qu'on me les explique! Je ne demande que ça! C'est d'ailleurs ce que je réclame à Marco. Des explications. C'est ça que je souhaite.

"A-V-A, regardes moi."

Je plonge mon regard dans le sien. Ses yeux caramels me fixent. Il cherche en moi quelque chose. Une faille, un indice. Je ne sais pas vraiment. Je le fixe comme il fait. Et je souris.
Je souris en voyant son habituel chignon qui maintient ses longs cheveux noirs. Sa peau bronzée et tatoué m'inspire sécurité. Peut-être parce qu'il semble fort. Anthony est fort.

"J'avais dix-huit ans quand je suis rentrée dans le gang. Ça fait onze ans maintenant. J'étais jeune et perdu. Un peu comme nous tous."

"Vous êtes tous forts."

"Notre force nous vient de notre passé. De la peur de le revivre pour certains."

"J'ai peur de mon passé. Il me fait mal. Beaucoup trop mal. M-A-R-C-O le sait."

Ça me soulage un peu de le dire. Oui. Mon passé me fait encore souffrir. J'ai ce vide en moi. Mes parents me manquent, mi abuelita me manque. Sarah me manque, malgré tout.

"Je sais, A-V-A. Tu es forte."

Je lui souris. Il se lève pour aller chercher sur ma commode mon carnet et le stylo qui va avec. Je n'y ai plus touché dès que Marco et moi avons commencé à bien nous comprendre en langue des signes.
Anthony revient. Il s'installe de nouveau face à moi. Il ouvre le carnet, et il commence à écrire. Plus le temps passe, plus la page se remplit d'encre. Plus le temps passe, plus je sens Anthony se détendre.
Il semble tout de même préoccupé par ce qu'il écrit. Je le laisse donc faire. Je ne préfère pas intervenir. Parce que je sais que ce qu'il écrit m'est destiné. La page entière est pleine d'écritures.
Puis, il lève les yeux vers moi. Et il m'offre le sourire le plus sincère et le plus franc qu'il puisse m'offrir. J'en suis bouleversée. J'avais tant d'à priori sur lui, mais finalement, je pense mettre trompée.
Il est bienveillant. Mais aussi protecteur, impulsif, possessif, jaloux. Ou encore poli et respectueux quand il le souhaite. Il a un sale caractère. Mais on l'apprécie pour ça.
Il me tend le carnet. J'attends avant de lire. Je sais qu'il s'agit de quelque chose de personnelle. Très personnelle. Que me confies-tu là Anthony? Me fais-tu assez confiance pour ça? Je pose mes yeux sur le carnet. Et je lis.

"Ma grand-mère est morte d'un cancer du sein quand j'avais quatorze ans. Ma mère a vite suivi, elle aussi un cancer cancer sein. J'avais seize ans. Je me suis retrouvé seul, privé de l'amour de ma mère. J'étais très proche d'elle. Très très très proche. Je l'ai soutenu avec tout l'amour dont j'étais capable quand abuelita est morte. Elle me l'a rendu encore plus, cet amour. Alors, qu'elle est tombée malade et qu'elle est ensuite morte, j'ai vu mon monde entier s'écrouler. Je me suis retrouvé seul avec mon père. J'aime mon père. Là n'est pas la question. Seulement, nous ne sommes pas du genre à se transmettre nos sentiments. Mon père n'est pas un sentimental. On se voit peu. Parce que je n'ai pas envie de le mettre en danger à cause de moi. Je tournais mal, c'est pour cela qu'à dix-huit ans j'ai atterri auprès de Macro. Ça aurait pu s'arrêter là. Mais je faisais toujours et encore n'importe quoi. Et puis, j'ai rencontré cette fille. J'avais vingt ans. Je n'ai jamais su son prénom. C'était juste l'histoire d'un soir. Enfin, ça devait se passer comme ça. Cinq mois plus tard, elle est revenue. Enceinte. Je ne voulais pas la croire. J'y ai cru et j'ai assumé quand j'ai eu mon fils dans mes bras. Le petit Léo. Il me ressemble beaucoup. Peut-être trop. Et il adore Amina. Amina l'adore. Il a six ans. Sa mère est morte en accouchant. C'est peut-être honteux, mais je m'en fou. J'ai parcouru un long chemin pour en arriver là. Je suis heureux. Avec un fils et une femme merveilleuse, même si légalement elle n'est pas encore ma femme."

Je relève la tête pour croiser ce regard caramel. Celui qui me faisait peur au début. Mais, maintenant, je suis touchée. Parce que je sais ce quil a vécu. Et puis, Anthony est papa! Il me l'avait déjà dit.
Je souris. Ça me fait étrange. Et Amina aime son fils. Amina, maman? Ce serait incroyable. Ça aussi, ce serait à graver dans du marbre blanc. Je signe.

"Tu es bien papa?"

"Oui."

"Je pourrais le rencontrer, un jour?"

"Bien sûr."

"Je suis désolée de ne pas avoir tout saisi. Mais je crois que j'ai compris. Je suis contente que tu m'aies raconté tout ça."

"Il faut que tu sois patiente avec M-A-R-C-O. Chacun ici a vécu d'affreuses choses. Lui le premier. En tout cas, ne doutes jamais de lui. Parce que je ne l'ai jamais vu aussi sincère. Il se bat contre lui-même, c'est dur, mais il le fait, pour toi."

J'hoche simplement la tête parce que je ne sais pas quoi dire de plus. Je me redresse pour prendre Anthony dans mes bras.
J'ai été injuste et égoïste avec Marco. Je voulais qu'il me rassure, j'avais peur de la déception et de son abandon. J'espère qu'il n'est pas trop tard.
Je vais l'attendre dans sa chambre. J'attendrais qu'il rentre. Et je m'excuserai. Je le ferai. Sincèrement. En espérant qu'il accepte mes excuses et que tout redevienne comme avant.
Prends ton temps, Marco, j'ai compris maintenant.

La Sourde et la BruteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant