La Sourde et la Brute

39

Le dîner prend fin. Il était temps! Je jette un rapide coup d'œil à Ava. Elle se bat avec sa longue robe pour se lever. Et ça me fait sourire. Marissa l'aide en riant légèrement. En voyant son amie rire, Ava la rejoint.
Son rire. Beaucoup trouverait qu'il est étrange. Mais je le trouve merveilleux. Il est comme elle. Unique. Sa surdité, qui fait que ne sache pas non plus parler, ne l'empêche pas de produire parfois quelques sons, étranges mais charmants.

-Chéri, tu viens? Nous allons au petit salon pour le café.
-Je vous suis tia.

Je me lève, laissant ma serviette sur la table. La plupart des invités sont déjà partis avec mi papá. Pedro et Marissa ne sont plus là non plus. J'étais tant dans mes pensées pour ne pas voir les autres partir?
Je suis le mouvement des dernières personnes qui rejoignent le petit salon. Mais je reste à l'écart, derrière. Je ne fais pas réellement attention à ce qui m'entoure.
Jusqu'à ce que je sente quelque chose dans mon dos. Enfin, plutôt une main qui se glisse dans le bas de mon dos. Je le tourne légèrement et un long frisson me prend lorsque je vois Ava.
Sa main se ballade outrageusement sur cette partie de mon corps. Mes muscles se tendent. Que me fais-tu Ava? Pourquoi me fais-tu subir cela alors que nous ne sommes pas près de nous retrouver seuls avant encore une bonne demi-heure.
J'attrape cette main qui ne fait qu'augmenter le désir en moi. Ainsi, Ava se retrouve à mes côtés, et non plus derrière moi. Je cherche à comprendre dans son regard ce qu'il lui prend.
Il y a dans son regard cette lueur que je ne lui connais pas. Désir. Je ne l'ai vu qu'une seule fois chez elle. Lorsque nous nous sommes embrassés. Ce désir, il n'y a qu'avec qu'elle le ressent. Je le sais.

-Marco? Un problème?

Je sors de cette bulle pour tourner la tête vers mi tia qui nous regarde, prête à entrer dans le petit salon. Nous ne sommes plus que trois. Je secoue la tête.

-Tout va bien. Mais nous ne tarderons pas.
-Ah bon? Pourquoi?
-Ava est épuisée, et nous avons une chose à régler. Je ne veux pas abusée de sa santé.
-Mais vous restez au moins le temps d'une tasse de café?
-Oui, ne t'en fais pas. Et Ava boit du thé.
-Pas de soucis mon chéri. Sonia a préparé un peu de tout.

J'hoche la tête. Puis nous nous dirigeons vers la salle qui regorge de discussions. Ava me donne un coup de coude avant que nous entrions.

"Une chose à régler? Expliques moi."

"Ma tante nous appelle."

Je ne lui laisse pas le temps de répondre que je la force à entrer dans le salon. Marissa lui fait immédiatement signe de venir à ses côtés. Elles sont inséparables.
Je laisse donc mi joya rejoindre son amie, et moi, je rejoins mi hermano et mi papá. Mi hermano me tend un cigare. Mais je refuse poliment. Mes yeux se posent sur Sonia qui demande à Ava ce qu'elle souhaite boire. Mais elle semble désespérée car elles ne se comprennent pas.

-Sonia, que voulez-vous lui demander?
-Si elle veut du thé ou du café, monsieur Esteves.

Je regarde Ava, lui faisant un signe pour attirer son attention. Puis je signe.

"S-O-N-I-A demande ce que tu veux boire."

"Rien. J'ai trop mangé, mais c'est gentil."

-Rien, elle a trop mangé.
-Pas même un digestif?

"Un digestif?"

"Pas d'alcool."

"Tu as raison. Il faut que tu te rappelles de cette soirée."

-Ça ira Sonia.
-Bien.

La gouvernante laisse Ava et Marissa pour aller s'occuper d'autres invités. Ava ne m'a pas quitté du regard.

"Je ne te comprends pas, M-A-R-C-O."

"Tu m'as dis que je te manquais."

"Oui. Et?"

-Qu'est-ce qu'elle te raconte encore? ricane Pedro en crachant la fumée de son cigare.
-Qu'elle s'est rendue compte que tu étais un imbécile.
-C'est bas, ça, Marco.
-Nous devrions parler des affaires, les garçons, intervient notre papá.

Pedro soupire, je lève les yeux au ciel. Mi papá et les affaires! Une grande histoire d'amour! Una grande historia de amor... Nous ne pouvons jamais passer un repas sans qu'il remette ça sur le tapis.

-Pas ce soir, papá, tranche Pedro.
-Pourquoi pas?
-Parce que nous sommes fatigués, parce que je n'ai pas la tête à ça, et parce que tu es censé être à la retraite.
-Censé. Mais j'ai toujours le droit de savoir comment se porte mon clan.
-Rico, laisses tus hijos tranquilles ce soir. Ils sont avec deux magnifiques femmes qui ne demandent que leur attention.
-¡Tia! s'insurge Pedro.

Je ricane. Parce que je sais que Marissa a entendu. Et je suis heureux à ce moment là qu'Ava soit sourde! Ça m'évite beaucoup beaucoup beaucoup d'instants de gêne!

-Quoi? Je suis peut-être vieille mais pas encore croulante au point de ne pas voir clair!
-Baisses d'un ton!
-Ah les niños, toujours ingrats!

Je jette un coup d'œil à mi hermano qui fulmine. Je pose amicalement ma main sur son épaule. Il tourne la tête vers moi pour me fusiller du regard. Puis ses yeux se posent sur Marissa.

-On a tous le droit au bonheur Pedro. Ce qui est valable pour les membres du gang, est valable pour tous les membres.
-Gardes ton conseil pour toi, hermanito.
-La mienne est sourde.

Il sourit malgré tout. Même s'il n'a d'yeux que pour sa jolie brune. Je m'intéresse donc à l'amie de la brune. Mi joya.

"Fatiguée?"

Ava fronce les sourcils.

"Pourquoi tu me demandes ça?"

"La soirée n'est pas finie."

Elle me fusille du regard. Mais son sourire en dit long. Je crois qu'elle commence à comprendre.

"Je ne coucherais pas avec toi ce soir, M-A-R-C-O."

J'ouvre grand les yeux. Elle n'a pas comprit du tout ce à quoi je faisais référence, finalement. Il n'est pas question de faire l'amour avec elle! Même si cette pensée m'a caressé l'esprit lorsqu'elle m'a touché dans le couloir, je ne pensais pas à cela.

"Il n'est pas question de faire l'amour ou non. J'ai quelques petites choses à te dire."

"Vraiment?"

Ses joues prennent une jolie teinte rose. Elle est gênée. Parce qu'elle a pensé à une chose à laquelle moi-même je n'avais pas réellement pensé. Mais, ne t'inquiètes pas Ava. Je ne te prends pas pour n'importe qui parce que tu as compris cela. Non. Au contraire.

"Tu me manques Ava. Et tu manques parce que je ressens des choses oubliées depuis très longtemps. Calmes toi, laisses moi finir. J'ai peut-être peur, mais je n'ai pas honte. Tu es importante à mes yeux, et je déteste quand tu es loin de moi. "

Je l'observe aspirer tout l'air qu'elle peut aspirer. Et je vois ses yeux briller. Ne pleures pas, mi joya. Non, je t'en prie. Pas ici. Pas comme ça.

-Je... je vais ramener Ava dans sa chambre.
-Se sent-elle bien?
-Un surplus d'émotions.
-On se demande ce que tu lui as dit, souligne ironiquement mi hermano.

Mais je l'ignore. Je me dirige vers mi joya. Je lui attrape la main et la fais se lever. Je souris à Marissa.

-Ce n'est rien, rassures toi. C'est entre elle et moi.

Elle hoche simplement la tête. J'emmène Ava en dehors de cette salle devenue trop étroite pour contenir ses émotions, et ce qu'il se passe entre nous.
Je lui fournis le petit mouchoir plié dans la poche de mon costume. Elle s'essuie les yeux alors que je nous guide jusqu'à l'étage. Je pense qu'elle a besoin de repos maintenant.