CHAPITRE CXXXVIII - LE CASINO D'AUGUSTE

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De la plus brutale des manières, les Freaks furent ramenés par les artistes et leurs clowns de sbires à leurs cages. Mais les bêtes de foire ne se faisaient pas prier : ils préféraient de loin la solitude de leur cage sale et humide qu'être sur scène, devant un public qui n'avait pour eux que haine et mépris. Il n'y avait pas pour eux de situation plus humiliante.

Jorge et Hataro les regardèrent arriver en silence, dans l'obscurité de leur propre cage. Ils partageaient la rage et le désespoir de ces marginaux, même s'ils étaient prisonniers de ces coulisses infernales depuis bien moins longtemps. Le sang sur le front de Jorge avait séché, ses yeux s'étaient habitués à l'obscurité. Le désir de justice brûlait de nouveau dans sa poitrine gonflée de frustration.

En regardant son aimé reprendre place dans sa cage trop petite pour ses longs membres, Rosa, dissimulée dans l'ombre, crispa le poing. Le trousseau qui y était serré ferait bientôt tourner toutes ses clefs dans les serrures des prisonniers. Ils seraient libres et échapperaient au contrôle de Pagliacci le tyran. Elle attendit que les artistes de la Supra Nostra aient passé l'épais rideau de velours, que quelques clowns demeurent seulement. Le moment était venu. « Révolution ! » pensa-t-elle de toutes ses forces.

...

Plus loin, dans l'ombre des coulisses, Jane haletait. Echapper à la horde de clowns lancée à sa poursuite n'avait pas été chose aisée. Elle avait beau être une combattante des plus compétentes, à la fois puissante, endurante et agile, elle n'en demeurait pas moins faible au granit marin : ses menottes drainaient toute son énergie, si bien qu'elle était complètement épuisée. Sur sa poitrine, une pierre semblait peser. Elle était en nage. Incapable d'utiliser ses pouvoirs pour disparaître, elle demeurait aussi visible que les autres visiteurs. Même plus visible encore, car les grandes ailes qui se dressaient dans son dos risquaient d'attirer les regards. Il lui fallait au plus vite trouver un moyen de se libérer, tout en restant le plus discrète possible. Elle attendit que sa respiration lui revienne puis, à pas de loups, se glissa de nouveau dans le dédale des coulisses.

...

Le Casino de Festiland avait une réputation solidement ancrée dans les esprits : en une seule nuit, l'homme le plus pauvre du monde pouvait y devenir le plus riche, et vice versa. Les jeux y étaient de tous types : cartes, paris sportifs, machines à sous... Pour un jeton d'une valeur d'un berry seulement, il était possible d'avoir accès à la plus grande des fortunes. Et les visiteurs connaissaient bien cette réputation : tout comme le Parc et le Chapiteau, le Casino était plein à craquer. On y croisait aussi bien des grands bourgeois engoncés dans leur smoking, fumant le cigare d'un air méprisant, que de pauvres vagabonds fiers d'avoir grugé l'inspection sanitaire. La sécurité était cela dit extrêmement attentive à la fraude, qui était rare : Auguste, le directeur de l'établissement, avait la réputation d'être le plus sadique des lieutenants d'Arlequin.

Au fond des quartiers VIP, dans ses appartements personnels, il donnait la plus mondaine des soirées : les invités de marque étaient nombreux, à boire le plus fin des champagnes dans leurs coupes de cristal, admirant les murs et colonnes couverts d'or. L'or, cette chose qui seule avait de l'intérêt aux yeux brillants d'Auguste : des pieds à la tête, cette homme lugubre puait le fric, de ses vêtements de grands couturiers à ses bijoux rutilants. Son visage, couvert de peinture blanche, contrastait avec le faste de ses vêtements. De ses longs doigts manucurés, il réajustait ses cheveux gominés. Un sourire sournois était constamment imprimé sur ses lèvres alors qu'il occupait ses invités.

Sur son grand canapé, où il était entouré de jeunes filles peu vêtues, il gloussait comme un riche en racontant ses ridicules exploits :

- ... et c'est là que je l'ai fait exécuté ! cria-t-il à la fin de son histoire, provocant l'hilarité générale.

Il noya son propre rire dans une coupe de champagne et poursuivit.

- L'argent est bien la seule chose qui permette le bonheur, mes amis. Ceux qui affirment le contraire sont des ânes bâtés. Regardez-moi : depuis que je suis entré dans le top 20 des fortunes mondiales, j'ai pu m'acheter trois villas, cent esclaves de premier choix et même l'un de ces fruits que tous recherchent.

Quelques invités écarquillèrent les yeux.

- Un... Un fruit du démon ? Vous en avez acheté un ?!

- Le marché noir du Nouveau Monde regorge de tels trésors, souffla-t-il avec un sourire satisfait. Il suffit de savoir à qui s'adresser.

Il adressa un clin d'œil aux curieux et laissa sa main glisser sur les fesses de l'une de ses compagnes, qui se nicha contre son cou. Puis, tandis que le groupe attendait religieusement une nouvelle histoire, il attrapa la dague qui était posée sur son bureau. Il en dégaina la lame et en observa l'éclat à la lumière du lustre.

- Regardez cette lame courbe. Arrachée au chef de la tribu powath de Mukata, elle vaut sans doute des centaines de milliers de berrys. C'est un trésor historique que la plupart d'entre vous n'auraient pas de quoi se l'offrir en vendant leur propre famille. Pourtant, elle est l'un des objets les moins précieux qui se trouvent dans cette pièce.

Et alors que le plupart des invités exprimaient une indignation amusée, il se cura les dents avec la pointe de la belle lame. Au-dessus de son gigantesque canapé de cuir, il avait accroché le masque du Lion Rouge. Entre les deux yeux, il s'était amusé à dessiner au feutre noir le blason de son équipage : une tête de clown enjoué.

Il ignorait que son propriétaire s'était infiltré jusque dans ses quartiers et attendait, dans l'ombre, le moment d'agir. Dans ses yeux furieux se reflétait la lueur brillante du néon « VIP », qu'il toisait avec rage. 

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant