CHAPITRE CXLIX - LE CLOWN BLANC

6 1 0
                                    

Zell était toujours aussi vif, aussi combattif qu'avant, mais son agilité était réduite depuis la perte de son bras gauche : c'était tout son équilibre qui en pâtissait. Son œil perdu réduisait aussi ses capacités d'esquive, puisque tout le flanc gauche de son champ de vision lui était maintenant invisible.

Tout cela, Pierrot l'avait bien compris : ses yeux, équipés de détecteurs hyper-réactifs, avaient analysé la morphologie de son adversaire éclopé. En un coup d'œil, il avait saisi ses faiblesses. Et ce n'était certainement pas cette malheureuse prothèse, accrochée à son moignon, qui lui permettrait de faire la différence. Face au corps modifié de Pierrot, cette arme cybernétique de dernière génération, le charpentier ne pouvait rien.

Dans un déluge d'étincelles brulantes, la lame circulaire du clown lacéra les murs marbrés de la Tour Penchée. L'une des dreadlocks de Zell fut tranchée net tandis que, sur sa joue, un filet de sang ruissela jusqu'au bas de son menton. Il était déjà épuisé.

- C'est pas vrai... grommela-t-il en inspectant sa mèche de cheveux laminée. Tu as d'autres surprises, en réserves ?

- Et comment ! souffla Pierrot d'un air excité. Je suis bien attristé que tu me sous-estimes à ce point.

Il ouvrit grand la bouche et tira la langue. Celle-ci, percée d'un trou noir et rond, se contracta furieusement. Dès qu'il entendit le crépitement menaçant qui en provenait, Zell bondit, juste à temps pour esquiver un jet verdâtre et nauséabond.

- De l'acide, maintenant ? Comment ton corps peut supporter tous ces trucs-là ?!

- Je n'ai plus rien d'humain. A la demande de mon Roi, j'ai subi les expériences de Lord Vinsmoke, qui m'a changé en cyborg. Je ne suis plus que l'arme de mon maître, à présent.

- Une arme, hein ? le railla Zell en esquivant un nouveau tir. Ton maître se sert de toi aussi ouvertement et ça ne te fout même pas en rogne ?

- Je ne connais plus la colère, mon jeune ami. Pas plus que les autres émotions. A vrai dire, j'ai beau essayer autant que je le souhaite, je ne parviens même pas à être véritablement triste.

Son œil se mit à pleurer de nouveau, une grosse larme noire coulant sur sa joue blanche. Zell, horrifié, comprit alors qu'il n'avait plus rien d'humain : ce n'était qu'un résidu de cambouis, de graisse mécanique, sans doute dû à un défaut de fabrication. Alors que Zell levait vers lui ses ciseaux à bois, presqu'à contrecœur, l'autre porta devant son œil une petite pilule bleue.

- Tu ne pourras me vaincre, Madeira Zell. Car, vois-tu, je ne ressens plus rien.

Il glissa la Blue Pill entre ses lèvres pincées et déglutit en silence.

- Ni la joie, ni la peine, ni la douleur.

Et tandis qu'il soufflait ces mots, le blanc de son œil devint aussi bleu que le plus clair des cieux, un bleu profond et glacé.

Tout comme les autres pilules, la Rainbow Pills avait ses propres effets : si la Red Pill permettait d'augmenter la masse musculaire et la Green Pill d'atteindre un stade d'euphorie normalement inaccessible, la Blue Pill permettait de neutraliser toutes ses émotions et afflictions pour atteindre un niveau de concentration exceptionnel. Lorsque les hommes de Pierrot en avalaient une, ils devenaient de véritables machines à tuer imperturbables, à l'image de leur maître. Il était maintenant inarrêtable.

- Letale Balleto !

Tel un félin, Pierrot bondit sur son adversaire. Tourbillonnant comme un danseur, il fit tournoyer la scie de sa jambe pour fendre son ennemi. Mais celui-ci, souple et léger comme un roseau, se prêta à cette danse mortelle et se lança dans un impressionnant enchaînement de pirouettes pour se tirer d'affaire. Cherchant la moindre faille de son adversaire, Zell attendit la fin d'un cycle de rotation pour lui balancer l'une de ses cordes, prêt à le saisir. Mais Pierrot était trop vif et les lancers de Zell avaient perdu de leur précision : le clown repéra aussitôt le lien de ses yeux perçants et, d'un mouvement sec, le trancha. Et alors que Zell grommelait de frustration, Pierrot leva son bras droit vers lui.

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant