CHAPITRE CLX - KING D. UTYR, EMPEREUR DE L'OCÉAN

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Les massifs ardus de Gallos apparaissaient au-dessus des nuages, comme des lances pointées vers le ciel. Gris et durs comme de l'acier, ils semblaient prêts à percer la peaux des dieux eux-mêmes. En lieu et place des traditionnelles plages, l'île était entourée de falaises abruptes qui laissaient peu de chances à ceux qui y glisseraient. Des forêts denses semblaient se développer çà et là, ajoutant un peu de vert au tableau grisâtre de ce royaume peu accueillant. Sur la façade Nord, par laquelle le Falcon arrivait en ce matin froid, un port avait été bâti. Les dizaines de navires, frégates rapides ou cuirassés solides, semblaient prêts à partir au premier ordre de leur commandant pour voguer sur les mers. Dès que le Falcon apparut dans leur champ de vision, des sifflets furent entendus, puis des alarmes et des cloches. Le vacarme résonna quelques minutes, les membres de Justice échangeant des regards inquiets, mais Arthur demeurait stoïque. Leur voile volait au vent, laissant apparaître leur Jolly Roger : une lame d'or entourée des ailes turquoise de la liberté. Ce signe distinctif était érigé à l'intention de Morgane. Ils espéraient tous qu'elle le reconnaitrait et donnerait ses instructions. Aucun tir ne fusa dans leur direction, pas plus que la flotte ne bougea.

Le Falcon se fraya un chemin parmi les navires comme endormis. Sur leur pont, des hommes jetaient à l'équipage des regards étonnés ou suspicieux, mais demeuraient muets comme des carpes. Presque timidement, Jorge jeta l'ancre dans le port et, lorsqu'ils descendirent, ils virent qu'ils étaient attendus : une délégation était rassemblée en bas des falaises, près des pontons de bois et d'acier où tous avaient cessé leur activité pour observer l'arrivée de ces étranges invités.

La délégation était composée d'une vingtaine de soldats, couverts d'une épaisse armure d'acier et de capes blanches souvent tachées ou trouées, une lame attachée à la taille. Ils semblaient prêts à se battre au premier ordre. Mais un homme se fraya un chemin parmi eux. Son armure était plus légère, plus brillante, et sa cape brillait d'une couleur rouge pure et flamboyante. D'un mouvement délicat de la main, il rejeta ses cheveux en arrière et adressa un discret salut.

- Lord Arthur, soyez le bienvenu.

Arthur jeta un regard étonné à son équipage, mais l'inconnu lui répondit avant même qu'il ait pu poser la moindre question.

- Votre sœur m'a envoyé vous accueillir, mon seigneur.

- Ma sœur ? Elle nous attendait ?

- Elle n'avait pas prévenu votre père, l'Empereur, de la visite qu'elle vous a rendue. Mais elle a fini par lui dire, tout en affirmant qu'elle était persuadée que vous viendriez. Elle a calculé le temps précis que vous mettriez pour venir depuis votre île et je vous attends donc depuis quelques heures maintenant, prêt à vous mener au palais. Si vous voulez bien me suivre, mon seigneur.

- Mes origines ne font pas de moi votre seigneur. Vous servez mon père, mais je ne suis qu'un invité comme un autre.

- Votre sœur, monsieur, le corrigea l'étrange chevalier. Je sers votre sœur.

Jane laissa échapper un petit ricanement.

- Il me semblait bien que sa tête me disait quelque chose ! s'écria-t-elle. Ce type est le « chevalier aux roses », Bédivère, membre de la seconde division des chevaliers de la Table Ronde.

Elle s'approcha d'Arthur et lui murmura à l'oreille :

- La division menée par ta sœur, donc. Il sert directement dans son unité.

- Très juste, répondit Bédivère avec une expression impressionnée.

Puis, il se tourna vers les hautes falaises, dont il était descendu par un long escalier de pierre.

- Des calèches nous attendent là-haut, chers invités. Il nous faudra une bonne heure pour gagner le domaine de votre père, qui se trouve plus au Sud, au cœur de l'île.

Arthur acquiesça et, tandis que Bédivère leur emboitait le pas et commençait à gravir les marches, Jane se glissa une nouvelle fois derrière son capitaine pour lui murmurer à l'oreille :

- Méfions-nous de lui, malgré tout. Ce type est loin d'être un simple laquais : il est recherché pour pas moins de 80 000 000 de berrys. C'est un combattant très puissant, qui tiendrait tête à Jun ou Jorge sans aucun problème.

Arthur haussa le sourcil. Si cet homme si puissant n'était qu'un officier secondaire dans la hiérarchie, les plus proches lieutenants de l'Empereur devaient être terribles. Il se promit de redoubler de vigilance sur cette île où tous semblaient être des guerriers redoutables et sentit ses amis se tendre derrière lui.

...

La forteresse de Brocelott siégeait au cœur des montagnes de Gallos. Visible depuis la plage, elle était accessible en moins d'une heure grâce au réseau de routes de pierre et de brique. Pendant le voyage, Arthur ne la quitta pas des yeux, pas plus que ses camarades : pointue, aigue et grise, elle semblait épouser la forme d'une armée de lances pointées vers le ciel, prêtes à le pourfendre. Les tuiles de son toit étaient d'ardoise noire et brillante, et ses murailles crénelées étaient constamment parcourues de dizaines de soldats armés. Dur et froid, le domaine était celui de guerriers, pas de nobles courtisans. A l'arrivée des calèches, un clairon sonna trois fois et le chevalier Bédivère dut sortir pour faire signe aux gardes. Ils s'activèrent aussitôt et, sous leur impulsion, les lourdes portes s'ouvrir. Les calèches s'avancèrent jusqu'à la place centrale, où des dizaines de soldats étaient rassemblés en haies. Jun déglutit bruyamment en les voyant, car il lui vint alors à l'esprit qu'ils pourraient capturer et assassiner leurs invités sans le moindre mal si l'envie leur en prenait, ou que l'ordre leur était donné : était-ce un piège ?

Un éclair blond traversa la foule et se glissa face aux invités. Aussitôt, ils reconnurent la jeune femme et Bédivère s'inclina devant sa maîtresse.

- Vous êtes donc venus, souffla Morgane avec un sourire satisfait. Je savais que tu ferais le bon choix, mon frère.

Il voulut expliquer leur démarche, que cette action était le fait d'un vote collectif, mais Morgane ne l'écoutait déjà plus : attrapant la main de son frère, elle le tira jusqu'aux portes de la grande salle et l'aida à se frayer un chemin parmi les soldats. Au fond de cette grande pièce, Arthur pouvait discerner les contours d'un gigantesque trône dont il ne voyait que le sommet derrière la muraille de têtes qui se bousculaient devant lui. Mais en le voyant pénétrer dans le cœur de leur forteresse, en voyant la jeune Morgane s'avancer dans l'assemblée, tous s'écartèrent et il ne resta bientôt plus aucun obstacle visuel entre Arthur et le trône.

Il était là, assis en conquérant.

King D. Utyr, Empereur de l'océan.

Son père.

Il fallut un instant au chevalier d'or pour réaliser qui lui faisait face et leurs regards se plantèrent l'un dans l'autre. Leurs yeux de rapace était les mêmes, intenses et pénétrants, si bien qu'Arthur avait l'impression de faire face à une version plus âgée de lui-même. Le visage d'Utyr était froid et fermé comme une pierre parcourue des marques du temps et de la guerre. Pourtant, il gardait des restes de sa jeunesse dans sa carrure massive et dans le reflet d'or de ses longs cheveux et de sa barbe. Sous son armure de fer, il était loin de sembler écrasé et sa stature royale obligea Arthur à baisser les yeux. Une gigantesque épée était posée à ses côtés, dans un fourreau de cuir noir. Une autre demeurait accrochée dans son dos, simplement enroulée dans une bande de tissu blanc, comme une arme momifiée. Son charisme rayonnait tant que personne ne pouvait l'ignorer, sans pouvoir pour autant le regarder dans les yeux. Et avant même que le hérault puisse clamer l'identité des invités, Morgane se planta devant son père avec un grand sourire et s'écria :

- Père, voici Arthur. Mon frère, votre fils.

Utyr se pencha légèrement pour mieux le voir et, sans même qu'il le veuille, le regard d'Arthur fut contrait de croiser le sien à nouveau. Il ne lisait dans les yeux de l'Empereur que mépris et déception. 

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant