CHAPITRE CXXI - TOMBÉS DU CIEL

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Six heures pile.

Le réveil de Leroy sonna, mais il était déjà réveillé depuis longtemps. A vrai dire, il n'avait pas dormi de la nuit. L'aube apparaissait à l'horizon, le soleil semblant s'échapper de la mer. Sur l'esplanade, tout était prêt. Il était temps.

L'amiral regarda une dernière fois la photographie qu'il gardait cachée dans la poche de son manteau. Wilelm, Myr et lui-même. Ils n'avaient pas encore la vingtaine. Il avait beau la regarder à longueur de journée, il ne pouvait s'empêcher de sourire en voyant ces jeunes visages.

En entendant les trompettes au dehors, il sût qu'il devait y aller. Il avait l'horrible impression de trahir son meilleur ami, en tendant ainsi un piège à ses élèves adorés. Mais il avait ses propres motivations, sa propre équipe à défendre. Il devait se plier aux ordres d'Edouard. Il n'avait pas le choix.

Bang l'attendait en bas des escaliers, l'air léger. Visiblement, exécuter tout un groupe d'innocents, les derniers rescapés d'une tribu millénaire massacrée, ne le dérangeait pas plus que ça. Au contraire, il semblait presque satisfait.

- Bien dormi, « amiral » ? s'écria-t-il avec un sourire en tapant dans le dos de son camarade. On peut dire qu'on n'avait pas bossé ensemble depuis une paye, mon vieux ! Ça fait... Quoi ? Au moins dix ans ?

- Sans doute, oui... souffla Leroy en haussant les épaules.

Alors qu'ils approchaient de la plateforme d'exécution, leurs hommes s'écartant pour mieux laisser passer ces deux légendes de la Marine, l'amiral ne pouvait s'empêcher de regarder le ciel d'un œil triste. Un ciel noir, couvert de nuages, qui laissait à peine passer les rayons de l'aube.

- Belle journée pour tuer des salopards, pas vrai ? s'écria Bang en lui donnant un petit coup de coude dans les côtes, d'un air amusé.

Leroy sentait la colère monter en lui, mais conservait son calme habituel. Prêt de la plateforme, une vingtaine de prisonniers, attachés, attendaient en ligne. Hommes, femmes, enfants. Leurs visages fermés ne laissaient plus place à aucun espoir. L'amiral aperçut ses élèves et son poing se crispa. Il avait l'impression de les trahir, de trahir Myr, de trahir la Marine, de se trahir lui-même. Mais il continuait de penser à eux, à leur survie.

- Tes petits sont là ? Ils m'avaient épaté pendant le tournoi. Quel potentiel ! Tu veux peut-être qu'ils en tuent un ou deux par eux-mêmes, pour...

Leroy ne lui laissa pas la chance de terminer sa phrase et se rua sur lui.

- Vice-amiral Bang, je crois que vous oubliez que désormais, je suis votre supérieur hiérarchique. En tant que tel, je vous invite à mesurer vos mots en ma présence, à rester à votre place et surtout à ne jamais vous adresser à mes élèves sans ma permission.

La moustache de Bang se mit à transpirer. Ses yeux fuyants cherchaient du secours dans l'assemblée gênée.

- Mais... Leroy, enfin... On est...

- « On est » des officiers de la Marine, c'est tout. Alors cessez vos familiarités, « Dragon de Feu ». Ou alors, je serai forcé de vous mettre à pied.

La conversation houleuse était parvenue aux oreilles de Kegaro, qui ne put retenir un sourire narquois. Sa haine de Bang était inégalée et le voir dans une telle détresse l'amusait au plus haut point. Mais dès qu'il s'en aperçut, le vice-amiral se rua sur lui en jurant.

- Espèce de sale sauvage ! De qui te moques-tu ?! Tu vas voir ce que...

Et alors qu'il levait la main, Leroy l'arrêta d'un geste ferme.

- Cet homme sera mort dans quelques minutes, vice-amiral. Conservez donc votre dignité et laissez-lui la sienne.

Bang rumina comme une bête furieuse, ses dents crissant l'une contre l'autre, si bien que ses hommes crurent qu'il allait se jeter sur Leroy. Le peu de cordialité qui unissait ces deux hommes venait d'être définitivement pulvérisée.

Alors, avec une moue contrariée, Bang fit comme de rien n'était et, tâchant de faire bonne figure, adressa un signe aux bourreaux. Les deux hommes, à la carrure large et solide, saisirent le chef Powath et le menèrent jusqu'à la plateforme d'exécution. Ils le mirent à genoux, attachèrent ses chaînes à la potence, et commencèrent à affuter leurs lames. Ce n'était plus qu'une question de secondes.

Bang tira sa montre à gousset de son veston et fit signe aux agents de la mort : l'heure était déjà dépassée, ils pouvaient commencer. Et tandis qu'il observait l'horizon, à l'affut du moindre signe, Leroy s'approcha du prisonnier.

- Un dernier mot ?

- Non, souffla Kegaro avec mépris. J'aurais aimé parlé à mon fils, mais ce dernier trésor qui me restait m'a été retiré. Allez au diable et laissez-moi mourir en paix.

Leroy acquiesça en silence et recula légèrement. Tout était prêt. Il donna le signal.

Et tandis que les lames des bourreaux se levaient, que Hector serrait le poing de déception et de rage, un sifflement retentit dans l'air glacial.

- Les voilà... souffla l'amiral en fermant les yeux.

Une lame d'air, aussi tranchante et vive que le sabre du meilleur épéiste, vint s'écraser sur la plateforme qui trembla. L'onde de choc, puissante et destructrice, déchira le métal et le bois dans un crissement assourdissant. La structure éventrée chancela quelques secondes puis s'effondra dans un nuage de poussière noir et épais.

Alors que Bang hurlait ses ordres à ses hommes, que les Powathis laissaient échapper des râles d'étonnement, Leroy émergea de la fumée intact. Finalement, ils étaient venus. Mais après tout, rien d'étonnant : ils étaient les élèves du vieux Myr, les héritiers de son irrévérence.

Kegaro avait roulé dans la poussière, quelques mètres plus loin. Tandis qu'il se redressait avec difficulté, essayant de se dépêtrer des chaînes qui le retenaient, il ne put retenir un cri de surprise en voyant les étranges comètes qui traversaient le ciel comme de nobles oiseaux.

Il reconnaissait le chevalier d'or, en tête de cortège, bondissant dans les airs. Trois de ses lieutenants l'accompagnaient, un homme et deux femmes. La princesse du vent, cette Corsaire que le chef Powath avait aperçue sur la plage, volait à leurs côtés.

Tous les cinq semblaient tomber du ciel, filer dans les airs à la vitesse du vent. Pour autant, les Powathis n'étaient pas encore tirés d'affaire : l'amiral Kikkaku et son équipe se dressaient désormais sur l'esplanade, prêts à capturer leur proie. 

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant