4 | Hellnight

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🩰 ANABELLA 🩰
Paris, Opéra national de Paris.  

Je n'inspire plus. L'angoisse de retrouver l'homme avec qui j'ai partagé un morceau de nuit dans une voûte de faiblesse me rend, à cet instant, si fragile que ma gorge se noue. Je reste sans voix. Nos regards se rencontrent dans un amas de confusion et le kaléidoscope que sont ses yeux me propulse dans les souvenirs de cette tentative de suicide nocturne.

Le démon de la nuit de malheur.

Je me retiens de frissonner. Le monstre de contrariété, qui jusqu'ici maquillait de ses doigts poilus mon âme dans un brouillon de faux-semblant, m'attrape la gorge.

Il avait capturé un morceau de puzzle de ma vie, laissant un trou en moi. J'avais recueilli les pétales de son âme dans le brouillard obscur.

Et le voilà maintenant devant moi, dans une dimension diantrement euphorique lors d'un événement élégant. D'épais cheveux mi-longs noirs ébouriffés surmontent un visage froid. Aucune émotion ne traverse le bouclier qu'est son visage, mais ses iris incisifs me laissent apercevoir, pendant une minute, l'incompréhension, le choc et la haine de me revoir. Il m'a reconnue, lui aussi, c'est certain.

Une longue année est passée, mais cette nuit semble avoir eu un impact tellement grand que j'ai l'impression que c'était hier.

Sa mâchoire se contracte en même temps que je presse les paupières. Quand je les ouvre de nouveau, il se transforme en un mur en pierre impossible à grimper. Alors j'enfile à mon tour un masque d'indifférence, de cachotteries et de vices hautains. Deux statues aux émotions égarées dans une pièce conçue comme un musée. J'ai l'impression que nous sommes à la fois au centre de l'attention de tous les invités et des simples tâches dans cette foule respirant l'abondance. Je n'avais jamais ressenti cette électricité statique avec une autre personne, cette sensation d'être reine du monde comme simple errante.

Je gonfle mes poumons d'air et tiens mon dos droit. Tout va bien, tu es belle et tu rayonnes.

Aucun de nous deux n'ose regarder ailleurs, pupilles contre pupilles, noirceur contre noirceur, comme une impression de déjà vu. Après tout, nous étions persuadés de ne plus nous recroiser...

Je déglutis et recule d'un pas, la cage thoracique trop compressée. Puis, me rendant compte de mon action trahissant ma peur et mon envie de fuir, je m'avance de nouveau vers lui, levant le menton. L'homme de la nuit, en voyant ma réaction, sourit au coin d'un air arrogant et comme si ce simple mouvement avait suffi à briser l'atmosphère perturbante, figeante et encombrante, les bruits autour de nous me reviennent en pleine face, tout comme la femme brune à mes côtés dont j'avais oublié l'existence.

Nous sortons de cette bulle troublante, revenant dans la réalité des faits. Je me racle la gorge. Lorsque je vois ses lèvres roses s'ouvrir pour prononcer quoique ce soit, je décide de le devancer, histoire de m'imposer et d'avoir de l'avance sur notre discussion.

Je dois avoir le contrôle, je dois savoir jouer avant lui.

Je crois que je suis furieuse contre lui parce qu'il m'a vue au plus bas alors qu'il m'a sauvé la vie. Mais j'ai tellement voulu effacer cette nuit-là que j'en ai haï chaque détail dont je me souviens.

— Bonsoir... Devon Russel, l'auteur de ce tableau, c'est ça ?

Je jette ma chevelure derrière mon épaule puis lui tends la main malgré moi, jouant mon rôle à la perfection. Autant prétendre ne pas le connaître, je ne suis pas sûre qu'il se souvienne de moi. Devon - le point positif étant de connaître son vrai prénom - détache son regard du mien pour m'analyser. Son silence m'impatiente et m'agace. J'aimerais juste trouver une porte de sortie pour m'enfuir aussi vite que je suis arrivée devant ce tableau époustouflant. Il m'observe dans les moindres détails, passant de mon visage à mon cou dégagé, puis de ma poitrine, à mes jambes. Il me déshabille du regard et ce n'est pas de l'attirance qui brille dans ses orbes, mais une furieuse envie de vouloir dominer, de vouloir me soumettre à lui. C'est une manière de m'intimider. Je me lèche la lèvre inférieure, attirant son regard là-dessus puis lui adresse un demi-sourire narquois, le confiant secrètement que je ne suis plus la personne aussi émotive et instable d'il y a quelques années. J'ai évolué mentalement, il a le droit de le savoir.

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