32 | Rien d'autre que toi

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🎨 DEVON 🎨
Paris.

J'ai mal partout. Mon corps est en compote. Et pourtant, je n'avais jamais aussi bien dormi. Après des semaines à patauger dans la fatigue en essayant de rester debout pour faire vibrer mon art, ce matin, j'ai cédé mon âme à Morphée. Huit heures : c'est ce qu'il m'a fallu pour me redonner de l'énergie. Mon sommeil n'a jamais été aussi long et plaisant. Mon cerveau réclame encore mon lit et je mentirais si j'affirmais que cette option n'est pas tentante.

Assis sur mon fauteuil usé, je fixe les messages que j'ai reçus cette nuit tout en m'étirant, une cigarette au bec. L'horloge murale de mon atelier affiche qu'il est onze heures et le soleil commence tout juste à pointer son nez à travers la véranda. Cela fait trente minutes que je suis réveillé et on me fait déjà chier. Ma sœur n'a pas l'habitude de m'envoyer des messages, elle préfère les appels. Elle a toujours trouvé ces derniers ennuyants et hypocrites, la voix étant la seule part de vérité dans une conversation virtuelle. Pourtant, voilà qu'une succession de SMS s'affiche sur ma messagerie à me faire plisser les yeux de méfiance. Tous proviennent de ce matin. À quatre heures du matin, elle n'a rien trouvé de mieux pour divertir sa soirée.

Mais, en apercevant le contenu de ses propos, je me tends.

LEONORA : Oh mon frère, j'aime ta muse, je crois.

LEONORA : Premièrement je suis ivre, ne m'en veux pas.

LEONORA : Deuxièmement, ne t'inquiète pas, l'homme sur la vidéo nous a promis de nous ramener chez nous avec Anabella. C'est imprudent, mais il semble épris de son charme et je suis sûre que nous serons saines et sauves.

LEONORA : Troisièmement, ils n'ont fait que flirter, j'imagine la suite de leur soirée et ça m'émoustille.

Tirant une taffe, j'essaye de rester calme face à sa provocation. Je connais Leonora comme ma poche. Depuis qu'elle est au courant du projet qui me relie à la danseuse, elle ne cesse de me charrier. Elle veut me rendre fou et me prouver que mon obsession pourrait avoir l'aspect d'un sentiment que je qualifie de superficiel. Ma sœur est une diablesse. Son seul but est de me faire réagir au quart de tour. Pour elle, Anabella est une pièce maîtresse dans ma vie. Quelle manipulatrice... Dans un premier temps, elle me prévient qu'elle ne sera probablement pas en sécurité ce soir avec l'homme inconnu, puis elle estompe sa maladresse en m'informant qu'Anabella a trouvé un amant d'une nuit. Dieu sait à quel point je pourrais faire regretter Leonora de son inconscience parce que sa protection prime l'ensemble de mes responsabilités, mais actuellement, ma seule préoccupation est Anabella.

J'inspire et expire profondément, faisant bomber mon torse. J'écrase mon mégot dans le cendrier à ma gauche et penche la tête au plafond pour souffler la fumée toxique. La vidéo qu'elle a envoyée affiche un écran noir. Pour voir ce qu'il contient, je dois l'actionner. Encore une fois, je suis certain que c'est une ruse de Leonora. Si je voyais déjà quelque chose, rien qu'en observant l'image figée du souvenir auquel elle me fait part, je n'aurais pas été tenté par le bouton play. Je ne veux pas me rabaisser à son petit jeu. Or, ça me démange. Elle sait où frapper, merde. Ça ne devrait pas m'importer autant.

Hier soir, j'ai enfin trouvé la paix avec mes émotions et mes pensées paradoxales. J'ai achevé ma dixième toile. Jim a été mis au courant et on ne peut qu'espérer pouvoir faire ce fameux vernissage dans quelques mois et peut-être même avancer la date d'exposition - bien qu'il ne faut pas se précipiter et être trop ambitieux. En deux semaines, je peux proclamer fièrement que la fin de mon exposition commence peu à peu à prendre forme, à se concrétiser. Les journées passées auprès d'Anabella ont boosté ma créativité et je n'ai jamais été aussi productif. Elle errait dans la pièce, comme un esprit me possédant. Elle ne faisait rien de spécial, il n'y a pas eu de grande interaction, mais ça a suffi à me faire tomber. Sans mots, sans toucher, elle m'a quand même obnubilé.

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