33 | La faiblesse de l'amour

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🩰 ANABELLA 🩰
Paris.

— Surtout, tu ne dis rien. Il doit sûrement savoir que tu es ce fameux peintre qui me prend pour muse. Je lui dirai que tu es seulement venu faire un debrief du projet et tu partiras.

En resserrant ma queue de cheval fait à la va-vite, je cours dans tous les sens pour ranger un minimum mon salon. La robe oversize à manches longues que je viens d'enfiler flotte tandis que je soupire d'agacement.

Mon père ? Que fait-il là, bon sang ?

J'inspire et expire du mieux que je peux alors qu'une remontée d'acide à la simple pensée de mon paternel me rend malade. Venir à l'improviste, pour je ne sais quelle raison, c'est bien son genre.

Je jette un regard assassin au peintre qui, les bras croisés et le dos collé au mur, m'observe bouger de droite à gauche. Se sont-ils donné le mot ? Comme par hasard, voilà que les deux hommes qui troublent ma vie se pointent chez moi. Et en plus, un lendemain de soirée. J'ai encore le ventre qui tourne, les oreilles qui sifflent et la tête oppressée, mais je ne laisse rien transparaître. Actuellement, la simple idée de devoir me confronter à celui qui m'a construite me tend jusqu'aux orteils.

L'espace d'un instant, aux côtés de Devon, je me suis sentie protégée, assurée. Notre lien est malsain et pourtant, il m'apaise. Ça me terrifie, mais ce qu'on vient de partager, je ne l'ai pas rêvé. Avec lui, j'oublie ma situation minable, ma solitude amère et mes faiblesses. Au milieu de ce chaos qui règne entre nous, je ne sais pas si je peux me fier à ses douces paroles. Plus rien ne pouvait m'atteindre... À part mon géniteur.

— Devon, ne fais rien, ne dit rien, compris ? répété-je à nouveau.

— C'est une menace ?

Les manches retroussées sur ses avant-bras puissants, il m'adresse un sourire ravageur. Je déglutis et il penche la tête, calculateur. La venue de mon père constitue, pour lui, une clé dorée au coffre-fort de mes secrets. Mon ventre se noue d'appréhension parce que je crains ne pas pouvoir faire rempart à l'assaut de mon paternel et à l'impact que cela va créer. J'ai peur de ce que Devon pourrait découvrir et de ce que je pourrais devenir.

— C'est bien plus que ça.

C'est une supplication.

La sonnette retentit à nouveau. Ça doit bien faire sept minutes que mon géniteur attend sur le seuil de ma porte. Je prie encore pour qu'il tourne les talons et s'en aille, mais rien y fait. J'ai bien l'impression qu'il sait que je suis là et qu'il est déterminé à me voir. J'oublie parfois qu'il est lui aussi parisien et qu'il peut apparaître devant moi quand il le souhaite. Il m'évite la plupart du temps, mais quand ça le chante, il vient frapper à ma porte. Il faut croire que c'est une façon à lui de me montrer qu'il a encore une petite emprise sur moi et que malgré tout, je dois me soumettre à ses envies. Il veut me voir ? Je dois accepter. J'ai des choses de prévues, mais il est là ? Je dois me taire et tout lâcher pour lui.

Ça a toujours été comme ça.

Après une profonde inspiration et un énième avertissement silencieux envers Devon, je m'approche de la porte d'entrée. Je connais mon père, je sais comment ça va se passer et je sais comment le gérer. Je sais comment encaisser. Je ne veux juste pas subir ce moment suffocant avec le peintre comme témoin. Je regarde la date qui s'affiche sur l'écran verrouillé de mon portable et soupire. Nous sommes le 22 février, il fallait s'y attendre.

Proche du désastre. Proche de la date de ma mort intérieure, il n'a pas pu s'empêcher d'abattre ses cartes avant que mon propre château s'effondre.

Nectar Of GodsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant