7 | Au rythme de mon obsession

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🩰 ANABELLA 🩰
Paris.

« Et pourtant... Je suis sûr qu'on a encore plein de choses à partager nous deux. »

Dans tes rêves, Hellnight.

C'est pas lui qui a voulu qu'on se donne des surnoms parce qu'il ne voulait pas qu'on se revoit ?

Debout devant les œuvres d'art de Devon Russel, ma bouche se tord de dégoût. Voilà qu'il envahit mon lieu de travail en plus de mes pensées. Mon boulot consiste à surveiller une galerie d'art réputée à Paris dans un intervalle de six heures, entre vingt et deux heures du matin, et j'ai toujours apprécié flâner dans ce lieu. Gagner de l'argent dans un endroit serein et artistique, que demander de mieux ? Quatre collègues, des joyaux de l'art à ma disposition, finir assez tôt pour pouvoir dormir et me reposer pour mes journées de danseuse, c'est tout ce qui me suffit. Sauf que désormais, l'artiste pollue mon univers.

Ça fait trois jours que j'entends parler de lui. Lui et ses tableaux. Lui et sa beauté. Lui et sa magie. Je n'en peux plus. Après la cérémonie des arts et notre interaction dans les escaliers, je ne l'ai plus revu. Il s'est volatilisé si vite qu'il a laissé la rage qui bouffait mes entrailles me rendre folle. Il a disparu, laissant un doute planer autour de moi. Était-il vraiment présent à cette fête ? Était-il vraiment venu me bloquer dans l'espace confiné ? Ou était-ce seulement le fruit de mes horribles rêves, de mes plus beaux cauchemars ? Pour toute réponse, il n'y a qu'à fermer les yeux : j'ai encore cette impression que ses pupilles me déshabillent et que sa voix m'ensorcelle.

C'était plus que réel et bordel, je déteste cette vérité.

Je le hais parce qu'il me rappelle ma vulnérabilité. Parce qu'il a été le seul à me voir au bord de la mort, prête à me laisser périr alors que désormais j'inspire à être dégagé une image de femme forte aux yeux de tous. Il le sait et je crois même qu'il adore ça. J'ai même cette furieuse sensation qu'il veut plonger sa main dans l'eau empoisonnée où je suffoque pour arracher ma peau et l'analyser, comme une feuille de papyrus qu'on tentait de déchiffrer depuis des siècles sans vraiment réussir.

Je souffle, les bras croisés contre ma poitrine. La galerie d'art a consacré une pièce entière à ses tableaux rescapés. J'ai entendu dire qu'il y allait avoir une représentation spéciale de ses œuvres au Musée du Louvre et je brûle de jalousie. Ce n'était donc pas qu'une impression, cet homme venu de l'enfer a définitivement une célébrité plus haut placée que la Mona Lisa en personne - que je trouve, par ailleurs, fade. Je grignote le coin de ma bouche avec mes dents et laisse mon regard couler le long de ses peintures. Tous sans exception exhibent un corps humain, homme ou femme, au centre de l'attention, dans un décor sinistre. Tourbillon d'émotions, la douleur des chairs qui se déploie face à moi me fait respirer bruyamment.

Des traits crispés, des ombres, des cris silencieux.

Ils prennent vie devant moi. Leur mal-être m'attrape la gorge. Les tripes nouées, l'estomac étouffé sous une averse de bile acide, je tourne sur moi-même envahie par ces noirceurs. Qu'est-ce que ce peintre me fait ?

« On dit qu'il n'a pas d'âme et qu'il peint comme il vit: de façon monotone et ennuyeuse. » m'avait confié la jeune femme qui m'avait accostée.

Conneries. Et je suis sûre que je ne suis pas la seule à le ressentir. Il peint ce qui le hante, c'est certain. Ce n'est qu'un piège. Une illusion : je vous dis qu'il n'y a rien a ressentir alors c'est ainsi, mais au fond, ce sont des bouteilles à la mer qu'il jette. Il nous trompe tous.

« Vous manquez d'adrénaline et vous vous raccrochez à tout ce qui est susceptible de briller d'émotions pour vivre. Ce tableau et toutes mes œuvres ne sont que des troncs d'arbres morts. »

Nectar Of GodsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant