5 | Retour de flamme

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🎨 DEVON 🎨
Paris, Opéra national de Paris. 

Je suis un manipulateur aux doigts de fée. Un marionnettiste du complot, enchaînant mensonge sur mensonge. Domination sur domination. Feindre et dissimuler. Exercer et sourire. J'aime torturer les esprits en jouant avec leurs âmes jusqu'à les rendre fous. Jusqu'à ce que les fils de leurs réflexions se cassent et meurent pour laisser place à l'illusion de ma personne. Maintenir une trame et attribuer les rôles sociaux : c'est ma spécialité. J'élabore une histoire que je veux raconter, je désigne les acteurs, je la mets en place, et je m'en délecte. Je savoure le goût de mon ascendant sur autrui. Et c'est jouissant. Ce parfum de la réussite et du pouvoir m'enveloppe chaque jour. Un sentiment aussi lourd qu'additif. Aussi cruel que plaisant.

Une victoire douce-amère par mes analyses aussi claires qu'obscures.

Et c'est exactement ce que je suis en train d'exercer sur la journaliste assise en face de moi, mes fesses confortablement posées sur les sièges rouges en velours de l'entrée de l'Opéra. J'use de la magie de mes perfides mensonges habituels aux allures véridiques et incarnent mes plus belles attitudes trompeuses, couvrant mes intentions salaces.

Perdre du temps alors que la blonde aux yeux verts avait réussi à faire de cette soirée, quelque chose d'intéressant, m'irrite. Oui, cette même jeune femme au cœur sombre qui avait capté mon attention devant le pont Alexandre III a réussi, en un rien de temps, à me faire susciter un sentiment étrange, une attirance morbide et haineuse. Elle veut émettre sa supériorité et putain, quel pouvoir.

Mes bagues - couvrant l'ensemble de mes doigts - qui s'entrechoquent entre elles, en discontinue, s'interrompent net par cette pensée. Pourquoi est-ce qu'elle perturbe autant mon esprit alors que ça n'a pas lieu d'être ? Pourquoi est-ce que je suis si déconcerté et énervé par ce mauvais pressentiment que je ressens à son égard ? Je ferme une seconde les paupières pour faire table rase de cette nouvelle obsession et me redresse.

Aussitôt, je me prépare à offrir un long monologue de ce que la journaliste attend: un homme beau à damner les Dieux, un artiste ayant connu un pic d'audience aussi vite que l'éclair et de quoi faire la une des médias d'ici demain, lui conférant d'ores et déjà une promotion salariale. Ses yeux bleus brillent d'excitation alors que Jim, mon manager et ami, l'a choisie pour m'interroger sur de multiples questions sans intérêt et répétitives.

Un train-train monotone de la reconnaissance et du succès.

Cela fait maintenant une poignée de minutes que j'incarne mon rôle de peintre complétant devant les caméras et les photographes associés à la jolie quarantenaire.

Clic. Clic. Clic.

— Monsieur Russel, pour clôturer cette interview passionnante sur votre vie et la sensibilité que vous apportez à la peinture, puis-je vous poser une dernière question que beaucoup de monde se pose ?

Ses doux iris se dirigent vers la caméra qui nous filme, captant ainsi le regard des futurs spectateurs devant leur écran. J'en profite pour passer ma main dans mes cheveux, un sourire timide aux lèvres. Toujours essayer de se sentir gêné pour mieux amadouer l'individu. Je fais tourner les chevalières autour de mes doigts.

— Je vous en prie, allez-y, acquiescé-je d'une voix suave.

Elle bloque quelques instants devant ma réponse avant de se racler la gorge et de se reconcentrer. Voilà ici une marionnette facilement malléable. Un de mes jouets préférés pour divertir mon ennui. Pas comme elle.

Je souris légèrement. Oui, elle n'est pas comme elle.

Quoiqu'elle me demande, je me suis préparé à toutes les questions possibles. Je lui répondrai alors de façon si sérieuse et franche, qu'elle ne verra pas que tout ce que je lui débite n'est que pures machinations. Je suis un connard.

Nectar Of GodsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant