2 | La danseuse dormante

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🩰 ANABELLA 🩰
Janvier 2023, Un an plus tard
Paris, Opéra national de Paris.

Tourne. Tourne, Anabella. Tourne, les démons sont là.

Yeux fermés. Corps souffrant. Bouche verrouillée.

Tourne. Tourne, Anabella. Tourne, les démons sont là.

Sombre est mon esprit. Étouffante est ma cage thoracique. Perturbés sont mes sens.

Je ne veux pas regarder le monde en face. Je ne veux pas tomber. Je ne veux pas souffrir de l'intérieur.

Ressens les émotions. Ne lâche pas prise. Tourne, bordel.

Je joue avec mon art autant qu'elle me fait mal. Ma jambe s'élance puis revient dans un mouvement sec pour pivoter plus vite sur moi-même. Ma pointe de pied brûle, mes pirouettes s'accélèrent, s'enchainent. Dans le noir absolu de ma vision, l'impression de voler n'est pas qu'une illusion. La douleur physique prend le dessus sur la douleur psychologique.

Tourne. Tourne, Anabella. Tourne, les démons sont là.

Trop vite. Je vais trop vite. Mon souffle se hache, ma cage thoracique ne ressent plus l'air. Mes muscles se contractent pour me donner la plus grosse crampe de ma vie. Je meurs à petit feu dans cette sphère artistiquement démoniaque que je me suis créée. Une danseuse étoile étincelante, voilà ce que je suis censée être. Telle une allumette, mes chaussons produisent cette fragilité lumineuse qui me fait prendre éclat. Je ne suis que flamme et explosion, provoquant un incendie dans ce studio devenu trop oppressant pour moi.

Tourne. Tourne, Anabella. Tourne, les démons sont là.

Ne lâche pas. Reste forte. N'ouvre pas les yeux.

Ressens les émotions. Ne lâche pas prise. Tourne, bordel.

— Anabella ?

Paupières tremblantes. Lumière vive. Réalité.

Je perds ma concentration. J'efface mon point d'appui. Je me laisse entraîner dans ce tourbillon flou.

Bam.

Je m'écroule. Mes chevilles se brisent. Mes genoux frappent le sol. Mon cœur se forge. Putain. Je souffle rageusement, en sueur. Mes cheveux détachés se collent contre mon visage et mon dos nu. J'ai le ventre noué et le cerveau en ruine lorsque j'entends des pas frapper le sol pour venir à ma rencontre alors que j'essaye de renaître de mes cendres. J'inspire et expire, ma nuque me fait souffrir et mes pieds doivent être en sang. Mon pouls s'emballe. Mes épaules frémissent de déception. Ma mâchoire se serre de honte. Je lève lentement les yeux vers la forme humaine qui me surplombe.

— Merde, Ana. Encore ? s'inquiète mon ami Malo.

Ses grandes mains viennent piéger mes avant-bras alors qu'il plante son regard chocolat dans le mien. Un genou à terre, il me fixe avec une si bienveillance et empathie que mon visage se tord de colère. Je déteste ça et il le sait très bien.

— Ana... La séance d'entraînement est terminée depuis une heure ! C'est la pause déjeuner, nom de Dieu. Tu devrais arrêter ça, ça te rend malade.

Je fronce les sourcils et retire avec violence ses mains pour me relever. Toucher mon corps alors que ce dernier est si faible me rend fragile. Je tangue légèrement, jurant tout bas et me rattrape sur la barre en bois.

— Je fais ce que je veux ! Danser est une passion pour toutes les personnes qui ont intégré l'Opéra de Paris.

— Et alors ?

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