19 | L'étoile fissurée

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🎨 DEVON  🎨
Paris.

Elle appelait la mort, au-dessus de la vie. Elle demandait de l'aide. Elle dansait pour mourir.

Et j'espère avoir réussi à l'en dissuader, l'espace d'un instant.

Une cigarette coincée dans mon bec, je serre les mains autour du volant tout en faisant attention à ternir son parfum hypnotisant par l'odeur âcre de la nicotine. Je m'ordonne mentalement d'éloigner notre attraction de mon esprit et m'oblige à méditer sur son attitude suspecte de cet après-midi. Danser sur un toit ? Anabella n'a pas fait les choses petites. Chacun de ses pas était calculé pour rejoindre l'autre monde, chaque respiration voulait s'échapper assez vite de ses poumons pour crever sur place, chaque sourire n'était qu'un masque pour camoufler sa peine. Elle a dissimulé son mal-être par la danse.

Anabella est torturée et c'est uniquement pour cette raison qu'elle voulait me voir. J'en viens alors à déduire qu'il s'est passé quelque chose cette semaine. Une remontée des zones obscures ? Des souvenirs trop forts à supporter ? Une personne a évité ? Ou alors, se sentait-elle trop seule, au point d'étouffer ?

Pas de carnet. Pas de croquis. Pas d'esquisse. Je voulais vivre l'instant présent et voir à travers elle. J'ai vécu sa tristesse, j'ai supplié les cieux avec elle, j'ai hurlé sa haine et c'était admirablement mélancolique. Ses danses n'ont fait que sublimer les coins lugubres de son cerveau et même si son corps parlait pour elle, je n'ai pas réussi à savoir ce qui se tramait derrière tout ce chagrin. Elle est une énigme à elle-même dont la réponse n'a jamais été communiquée, mais je jure que je découvrirai ce qu'elle renferme, un jour ou l'autre.

Elle voulait discuter avec la mort pour mieux respirer et c'était un tableau troublant à déchiffrer.

Le coude contre le rebord de ma fenêtre, je récupère ma cigarette entre mes doigts et laisse échapper la fumée toxique dans l'habitacle. Je soupire devant les bouchons habituels de la ville. Il est dix-huit heures, mais le temps hivernal nous ferait penser qu'il est vingt-deux heures. Les rues sont illuminées par des lampadaires, le soleil a fait place à la lune et les étoiles se cachent derrière le voile sombre du ciel. Un coup d'œil vers ma danseuse et je sais d'avance qu'elle n'est pas ravie d'être toujours coincée à mes côtés. Après l'avoir portée sur l'une des cheminées du toit parisien que nous venons de quitter, nous ne nous sommes pas adressés la parole, comme si un mot pouvait déclencher une combustion incontrôlable. Parce que, malgré l'atmosphère morose de notre échange, le désir ne nous a pas quittés pour autant. L'alchimie profondément malsaine qui nous englobe depuis des semaines me rend fou. Elle s'est éparpillée dans chaque partie de mon corps et mon bas de ventre souffre de cette distance que je m'oblige à avoir avec elle. Même si, merde, je n'ai pas pu m'empêcher de la toucher quand j'en avais l'opportunité. Alors, elle et moi dans le même habitacle, l'air compressé, et les sens aiguisés, ne font que nous compliquer la tâche.

L'isolement que je nous avais imposé n'a pas su calmer l'ardeur de nos désirs.

Elle me passionne. Elle m'inspire. Elle m'obsède.

Tandis que des klaxons et des cris impatients des conducteurs autour de nous résonnent, je laisse glisser mes iris sur sa peau de porcelaine - que mes doigts réclament encore -, pour passer le temps. Je ne peux nier que Moonfall est dotée d'une beauté magnétique. Ses cheveux longs et blonds rendent son visage stupidement plus sage, pur et adorable, alors qu'elle est tout l'inverse. Ses émeraudes ne sont qu'un piège pour nous enfoncer six pieds sous terre et sa bouche pulpeuse, un appel au Diable. Elle est toujours vêtue de sa tenue de danse, mais la couverture que je lui ai donnée la dissimule. Cette femme n'a pas été capable de prendre un manteau, dans la précipitation et l'excitation du rendez-vous. Elle fixe droit devant elle, imperturbable.

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