🩰 ANABELLA 🩰
Paris, Auditorium de l'Opéra de Paris.— Ce projet s'étendra sur une période de neuf mois. La personne choisie bénéficiera d'un planning adapté et d'une entrée en scène différente, en fonction des besoins de Monsieur Russel. Il vous informera ultérieurement des éléments nécessaires et de ses attentes précises. Bien sûr, si ce que nous vous proposons ne vous convient pas, les personnes qui ne se sentent pas prêtes peuvent toujours décliner après la sélection. Cependant, pour l'instant, je vous demande à tous de faire l'effort d'essayer. Je tiens à souligner à quel point je suis extrêmement fière de vous. C'est un honneur de savoir qu'un danseur ou une danseuse de cette compagnie participera pour la première fois à une exposition de tableaux, en collaboration avec un peintre célèbre. C'est un moment marquant dans l'Histoire de l'Opéra de Paris.
Mes oreilles sifflent, mon cœur s'accélère et ma vue se braque sur une seule et même personne.
L'homme aux peintures mortes.
Cela fait vingt minutes que madame Robinson nous explique les enjeux de ce qu'il va poursuivre, mais je n'arrive plus à l'écouter ni à faire semblant. Une vague de sable étouffe ma gorge tant elle est nouée et des flashs de la soirée me reviennent en tête. Je n'entends pas les mots que me chuchote Malo. Les danseurs autour murmurent, rigolent et montrent leur enthousiasme. Moi, je ne suis qu'un coup de vent parmi d'autres dans cette pièce devenue trop oppressante.
Ce n'est pas possible, que fait-il ici ?
L'agitation que suscite son arrivée m'envoie une claque en pleine face. Apparemment, je suis bien la seule à ne pas le connaître autrement que personnellement.
Devon... Devon... Devon...
Son prénom me scie l'esprit aussi vif qu'un canif. Je déglutis. C'est la troisième fois qu'on se recroise et j'ai bien peur que ça devienne une habitude. Voire une dépendance. Une addiction.
Mon regard glisse sur le beau peintre. Positionné aux côtés de la maîtresse de ballet, les mains négligemment dans les poches, Devon Russel lève le menton, dans une supériorité effrayante. Cet homme transpire la bestialité, l'autorité. Je crois que je ne me lasserai jamais de l'analyser. Il a sans cesse cette étincelle qui me surprend. Son visage sculpté, ses pommettes définies et ses lèvres pleines font fondre la plupart des filles autour de nous et ça n'échappe pas non plus à Malo qui se frotte la nuque, mal à l'aise. L'artiste n'a fourni aucun effort vestimentaire pour venir nous rencontrer. Avec son large tee-shirt délavé, son jean noir et ses Dr Martens, il construit une certaine opposition avec le lieu dans lequel il se trouve. C'est comme s'il nous disait d'aller vulgairement voir ailleurs avec nos tutus. Il tache la danse classique par son accoutrement débraillé. Cependant, l'image publique de l'homme aux doigts de magicien qu'il entretient efface ces traits insultants à notre égard. Je me demande s'il m'a déjà repérée ou s'il fait exprès de ne pas me regarder. Ses yeux vairons caressent la masse, mais ne s'agrippent jamais au mien. Je pince ma lèvre inférieure puis penche la tête sur le côté.
— Ce que je vais donc vous demander de faire c'est de former six groupes de cinq personnes et vous allez danser sur le morceau que nous avons vu il y a trois jours. Vous savez, celui qui met en œuvre le contemporain au classique...
Un bruit lourd de désapprobation s'élève alors que madame Robinson plaque ses paumes sur ses hanches.
Le contemporain...
Je conserve un visage imperturbable.
— Oui oui, c'est vrai que j'ai dit qu'il fallait éviter de mixer les deux genres, car les codes et les règles ne sont pas les mêmes... Mais Devon Russel cherche quelque chose d'émotionnel, fluide, basé sur le langage du cœur et je trouve que cette combinaison marche parfaitement, pas vrai ?

VOUS LISEZ
Nectar Of Gods
Dragoste« - C'est une question de mort ou de peine éternelle, répondis-je en déglutissant. - Non, c'est faux. C'est une question de vie, de survie, ou de solitude glaciale. » Anabella n'est qu'une âme trouée, errant sur le chemin de sa vie. Le masque social...