Nectar Of Gods

36 | Écoutez comme je hurle

🩰 ANABELLA 🩰
Paris.

— Oh comme je rêve d'intégrer l'Opéra de Paris, Ana. Tu comprends ? Ça serait tellement, mais tellement incroyable. Danser sur les pas des plus grands danseurs du monde, briller comme une étoile, prête à exploser, à être admirée...

Ses pas précipités résonnent dans le vide, ses chaussons de danse claquent contre le sol. Elle tournoie dans la pièce, faisant virevolter ses cheveux noirs alors qu'elle s'excite seule, perdue dans l'avenir qu'elle structure depuis enfant. Je ris en secouant la tête devant sa joie de vivre et ses rêves endiablés. Assis par terre, je me débarrasse de mes pointes.

— Tu réaliseras ton rêve, Naomy. Personne n'est aussi douée que toi.

Je me redresse pour m'étirer, prête à exercer la dernière chorégraphie contemporaine qu'on vient d'apprendre. C'est la fin des cours, mais amoureuses de nos pratiques, nous préférons rester encore un peu pour valser dans les airs. Un sourire aux lèvres, je termine de m'échauffer, craquant ma nuque de gauche à droite. Mon cœur bat à tout rompre rien qu'à l'idée de danser seule au centre de cette pièce de façon la plus libre qu'il soit.

Je replace mon jogging sur ma taille, ajuste ma brassière et observe mon reflet. L'ombre de ma meilleure amie, derrière moi, sautille dans ma direction. Je me retourne face à elle. Il reste quelques mois avant la fin de notre année et ensuite, libre à nous d'intégrer une compagnie de danse, de faire de notre diplôme, de notre certification ce que l'on veut. Pour Naomy Ricci, son avenir est déjà tout tracé : être danseuse étoile, mourir parmi les meilleurs, marquer les esprits. Elle ne vit que pour ça. D'aussi loin que je m'en souvienne, elle a toujours su quel parcours entreprendre, contrairement à moi.

— Et toi alors, qu'est-ce que tu veux prouver au monde entier ? me demande-t-elle en posant ses mains sur mes épaules, mielleuse.

Elle plante ses yeux noirs dans les miens. Ses épais sourcils forment un arc jovial, elle respire fort par ses nombreuses pirouettes et autres figures classiques qu'elle vient d'effectuer. Même si dans le cadre de notre enseignement, je pratique aussi de la danse classique, je dois dire que je suis une sacrée merde à côté d'elle.

— Ce que pense le monde entier ? Je m'en carre, tête de nœud. Je veux juste danser.

— Oh, Ana, je te plains sérieusement. Vise plus haut, réplique-t-elle d'un rictus dégoulinant de provocation.

Je roule des yeux, amusée. Je ne sais pas, Naomy. Je ne sais pas quoi faire de ma vie.

— Tu pourrais venir avec moi à l'Opéra de Paris ? propose-t-elle en continuant de me percer de ses iris océaniques.

— Non merci. Tu ne penses pas que devenir professeure de danse contemporaine fait aussi l'affaire ?

Elle me lâche et soupire en secouant la tête. Pour Naomy, gloire et richesse riment avec succès et popularité. Pour moi, réussir dans un domaine qui a du sens et de la passion me suffit largement. Oui, je veux être acclamée. Oui, je veux être aimée. Oui, je veux être reconnue. Mais par qui ? Je m'en fous, merde. Je veux vibrer, je veux créer et m'épanouir. Le reste m'importe peu. Sur ce sujet, ma meilleure amie à la même vision que mon père et ça me dépasse. Si on doit suivre ce qu'ils prétendent être bon pour la santé, alors on deviendrait tous des carcasses vides, manipulées par le monde obscur de la célébrité.

— On m'admire déjà, Naomy, ajouté-je pour la rassurer. Rien ne peut égaler ma personne, souviens-toi.

— Je le sais, je le sais, ricane-t-elle avant de murmurer d'un air rêveur. Mais ça me dépasse que tu n'aies aucune réelle ambition. Je persiste à croire que si tu viens avec moi à l'Opéra de Paris, ça pourrait t'ouvrir des portes pour plus tard. OK le contemporain c'est bien, mais réfléchis à ma proposition. Promets-moi d'y réfléchir : danseuse étoile à Paris, il faut au moins une de nous deux dans ce rôle. Une qui doit être renommée pour illuminer l'autre, d'accord ?