15 | Chère émotion, je t'emmerde

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🩰 ANABELLA 🩰
Paris, Parc du Champs-de-Mars.

Allongée sur la pelouse située au pied du monument phare de la capitale, je hume l'odeur de la pluie qui s'est abattue sur la ville cette nuit. Mi-janvier est vraiment une période de merde. Entre averses et orages, l'envie de vivre n'est plus aussi présente qu'en été, comme si le simple fait de changer de nouvelle année mettait une mauvaise ambiance sur Terre.

Dure à vivre pour une suicidaire rescapée, me souffle ma conscience d'un ton sarcastique.

Vêtue de mon gros manteau en laine, de mon écharpe et de mes gants, je fixe les nuages gris qui me surplombent. Le vent me fouette le visage et je ferme les paupières, épuisée et mélancolique. Il y a des jours où le moral est au plus bas et c'est crevant de le supporter, putain. J'ai envie de hurler : à quoi bon se réveiller le matin si c'est pour se prendre un mur ? À quoi bon prétendre que je suis bien dans ma peau si c'est pour qu'on décrédibilise mon mensonge sans scrupule ? À quoi bon vivre ? Je déteste ne pas pouvoir contrôler mes émotions, ne pas réussir à les accepter et à les comprendre. Parce que oui, ça te tombe à la gueule sans que tu puisses dire un mot, et tu trimballes cet air maussade toute la journée, sans pouvoir t'en détacher. C'est désopilant.

Mais c'est rien, parce que je suis heureuse et jolie. Parce que je suis Anabella Leroy et que je n'ai pas le droit de me plaindre.

Je soupire et passe mon avant-bras sur mes yeux. C'est toujours mieux de se convaincre de l'exact contraire pour l'être. Si je dis que je suis heureuse alors c'est vrai.

Pauvre Anabella, encore coincée dans ce monde où ton cœur s'est tué.

Fermer ses sentiments. Ne pas se morfondre. Être forte.

Alors j'utilise le meilleur remède qui existe pour lutter contre une tristesse inopinée : celle de penser à autre chose. Une force contraire qui fera de l'ombre à ces pensées grises.

Le désir de triompher. Le désir sexuel. Le désir de la provocation. Ils sont supérieurs à ma peine habituelle.

Penser à autre chose.

Devon.

Penser à Devon.

J'inspire profondément par le nez face à ce prénom qui tourne en boucle dans ma tête depuis quelques jours. J'ouvre les yeux et devant la vie active parisienne, je me sens moins oppressée par mes démons. Des particules de souvenirs et son visage sombre mettent en retrait ma mauvaise humeur.

Hellnight.

Ça fait cinq jours que Devon ne m'a pas contactée. On est jeudi et j'attends encore notre prochain rendez-vous depuis la soirée au Paloma's Palace. J'ignore ce qu'il prépare, j'ignore ce qu'il fait derrière son silence, mais c'est agaçant. Notre contrat n'est pas respecté, lui qui proclamait vouloir me voir tous les jours... Peut-être le fait-il exprès ? Ça ne m'étonnerait pas. Peut-être peint-il et n'a-t-il plus besoin de moi ? Je n'en sais rien. J'hésite à lui envoyer un message sauf que ça signifierait faire le premier pas et ça ne me ressemble pas. Alors je reste aussi muette de mon côté.

Je mentirais si je disais que sa détermination et cette chose en lui qui me fait vibrer ne me manquent pas. Je me sens comme vide. Ma vie n'a plus trop de sens sans lui, puisque ma carrière repose majoritairement sur ses épaules et ses doigts de fée. Et si, il me le mettait à l'envers ?

Je m'arrache, de mes dents, les coins de mes lèvres tout en réfléchissant à cette situation étrange puis secoue la tête. Je délire, pourquoi ça m'importe tant ? Je n'ai besoin ni de lui ni de personne pour briller. Il doit sûrement freiner notre prochaine entrevue pour nous punir, ou du moins, faire durer l'attente. Oui, c'est sûrement ça.

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