6 | Du sang sur la toile

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🎨 DEVON 🎨
Paris.

Sans surprise, vingt-quatre heures après cet événement, je n'arrive pas à trouver le sommeil. Emprisonné dans ma bulle tachée de peinture qu'est mon loft, je laisse l'inspiration de la nuit prendre contrôle de mes sens. Mes yeux parcourent rapidement la toile blanche sur le chevalet abîmé et les coups de pinceau s'enchaînent, doucement, puis de façon plus agile. Mes mouvements sont souples, parfois brutaux, d'autres légers. C'est instinctif, je laisse les articulations de mon corps faire ce qu'elles ont toujours connu : un méli-mélo de sentiments, des tâches par-ci, par-là, une superposition de couleurs pour former quelque chose de potable et vendable. Honnêtement, ce n'est pas la chose figurée qui est importante, mais plutôt ce que je ressens en couchant du liquide coloré sur une toile, c'est-à-dire, rien. Juste une certaine satisfaction de détruire la pureté du blanc.

Comme avec Moonfall, je veux y mettre mes empreintes. Je veux lui laisser des souvenirs, aussi horribles soient-ils au creux de sa mémoire. Je veux piétiner son cœur par mes machinations. Une marionnette que j'aimerais maquiller. Un sourire mesquin déforme mes lèvres à cette pensée. Après avoir touché son corps volontairement et chuchoté des paroles crues, je ne me suis plus approché d'elle de la soirée, voire, je l'ai totalement ignorée, comme le vulgaire petit connard que je suis. Elle non plus, n'a pas cherché à attirer l'attention sur elle et c'est mieux ainsi. Nous avons joué les inconnus le long de la célébration avant de nous effacer chacun de notre côté. Depuis, son parfum particulier ne me lâche plus. J'ignore si nous nous reverrons. Au fond de moi, je l'espère.

Je plonge le fin pinceau entre mon index et mon pouce dans l'eau du pot en verre à ma gauche et, d'un geste mécanique, tournoie ce dernier, le noyant dans une purge sans pitié. La couleur sombre se détache des poils pour tourbillonner et prendre possession de l'eau qui la lave. L'odeur chimique me titille les narines. Définir la peinture comme une passion sera un euphémisme. C'est thérapeutique. Vital. J'aime mettre en avant mon talent. J'aime avoir les mains sales en estompant les ombres des courbes gracieuses que j'émets. Sculpter l'image que j'ai moi-même imaginée et toucher le nectar de mes désirs, c'est jouissif.

C'est dégradant. C'est nocif. C'est si bon.

Je tourne la tête, en bâillant. Le sol parisien plongé dans une atmosphère nocturne détale devant moi dans une vue illuminée par delà les baies vitrées. Je n'ai jamais aimé Paris. Paris et les métros, la population, la pollution. Paris et le stress, la foule et les rues sales. Tout me répugne. Mais derrière ça, je dois avouer que c'est une ville pleine de richesse et d'une culture élargie. Une ville qui peut être silencieuse et scintillante quand elle le veut, surtout avec comme voisine, la Lune.

Soudain, mon cellulaire se met à vibrer sur la table à ma droite. Le nom de Jim s'affiche et je devine aisément qu'il n'a pas arrêté de bosser cette nuit. Après les interviews et ma venue à l'Opéra, on ne cesse de l'appeler et les mails affluent. Apparemment, j'ai créé un dynamisme à mon honneur - qui en doutait de toute façon ? Déchaîné comme il est, mon meilleur ami a sûrement quelque chose d'important à me dire pour m'appeler à une heure pareille : près de l'aube et loin du crépuscule nocturne. J'essuie mon index sur mon jogging noir usé, décroche et actionne le haut-parleur.

— Quelle surprise de savoir que tu es réveillé ! s'exclame-t-il aussitôt dans un ton sarcastique.

— Accouche, j'ai pas que ça à faire.

Mon ton agacé le fait rire. Grâce à cet appel, j'en profite pour prendre une pause et dégourdir mon corps crispé sur le tabouret en bois qui m'écorche le cul. Je me déplace vers mon fauteuil en daim au coin de la pièce et m'écroule dessus. Je soupire en sentant mon dos se détendre.

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