Nectar Of Gods

28 | Le cygne gris

🩰 ANABELLA 🩰
Opéra de Paris.

« Mon rêve à moi, c'est de devenir danseuse étoile, Anabella. Tu sais que c'est ce dont j'ai toujours rêvé... Et j'aimerais vraiment que tu sois à mes côtés le jour où je le réalise, OK ? J'aimerais que tu pratiques la danse classique avec moi, Ana... »

Les directeurs m'ont accordé l'interprétation de la reine des cygnes ce matin. J'ai obtenu le rôle. Les projecteurs seront rivés sur moi et on m'acclamera. J'ai réussi à avoir ce que je voulais de plus cher... La rendre fière.

« C'est plus qu'une passion... J'en voudrais à la vie si je ne rentre pas à l'Opéra de Paris, tu comprends ? C'est dingue, je vais passer le concours. »

Mon corps est rempli de courbatures. J'ai dormi tard, j'ai une mine affreuse et Devon ne sort pas de ma tête. Hier soir, j'ai autorisé mon âme à se livrer au Diable et maintenant, je subis les conséquences : les perturbations sont nombreuses alors que je vis le moment le plus important de ma carrière. Devant le miroir de ma loge individuelle, je me demande si je ressens quelque chose. Je me demande si je suis contente, heureuse ou juste désespérée.

L'artiste, en un coup de reins, a réussi à remettre mon existence en question.

— Vous ne mangez plus ?

Je croise le regard de la costumière à travers nos reflets. Elle serre les liens de mon haut blanc derrière mon dos alors que les plumes couvrent les tutus autour de ma taille. J'en ai aussi sur ma tête, comme une couronne de fleurs surplombant mon maquillage impeccable.

— Si, tout va bien de ce côté.

— Vous avez perdu du poids...

Elle pince ses lèvres en se rendant compte qu'elle n'a pas son mot à dire avant de passer sa mèche blonde derrière son oreille et de continuer d'affiner ma taille. Elle resserre les coutures des trois justaucorps brodés de magnifiques diamants clairs. J'ai perdu du poids et c'est parfait. Je contemple mon reflet. J'ai l'air si pure et si douce dans cet ensemble lumineux. Pourtant, ô comme j'ai hâte que le cygne noir me dévore et que je devienne sombre et méchante. Quand elle termine enfin, elle rassemble ses affaires, me souhaite bon courage et sort de la pièce.

Depuis que j'ai su que je jouerai la reine des cygnes, les répétitions depuis l'aube n'ont pas cessé de s'enchaîner encore et encore, mais je ne laisse pas la fatigue m'abattre. J'ai sacrifié tant de temps, tant de repos pour réussir. Je ne dois pas échouer. Je tremble rien qu'à l'idée de savoir que je serais sur scène devant des centaines de spectateurs pour la pièce la plus convoitée de la culture classique. Je dois prouver au monde entier que je mérite ma place, que je suis incroyablement talentueuse et que ma danse est parfaite.

— C'est pour toi, tête de nœud. Alors, donne-moi ton courage et ta passion, murmuré-je en récupérant mon gloss comme si elle pouvait m'entendre.

Chaussée de mes pointes, je sors de ma loge pour rejoindre Malo, derrière la scène de l'Opéra.

Dans moins d'une heure, la magie opérera et nous entendrons les louanges des spectateurs.

Dans moins d'une heure, la reconnaissance m'accablera.

Je mentirais si je disais que je ne suis pas stressée. C'est un peu la même routine pour chaque spectacle que l'on offre au public : appréhender, angoisser, se convaincre et danser. Même quand on est sûr de nous, même quand je ne cesse de me répéter que je suis incroyable. Parfois, ça ne suffit pas. Sauf quand je vois le doux regard de mon ami.

— Anabella, tu es incroyable.

Malo m'embrasse la tempe en me serrant contre lui et je laisse un soupir s'échapper de mes poumons contractés de trac. Ses pupilles brillent de fierté et j'ai qu'une envie : d'y croire. Croire que c'est tout moi : danser pour l'Opéra de Paris en tant que premier rôle. Croire que je suis heureuse à ma place actuelle. Croire que je suis moi-même.